Mais qu'est-ce qui peut
bien nous valoir
cette soupe aux « les » ?
Un « fidèle lecteur depuis soixante-cinq ans » s'agace de voir et d'entendre de plus en plus, dans la foulée d'un verbe comme atteindre, un article défini qui lui paraît « intempestif », « inutile », voire « incongru »...
Un rapide coup d'œil sur la Toile suffit à confirmer ses dires. C'est le ministre de la Santé qui redoutait il y a peu « d'atteindre les 50 000 cas par jour ». Un joueur de rugby de Carcassonne qui, au contraire, aimerait bien « atteindre les 400 matchs ». L'académie de Versailles enfin, qui entend donner la priorité au premier degré pour « atteindre les 100 % de réussite ».
Ne pourrait-on se passer de cet article ? insiste notre lecteur. Ou du moins n'y recourir, comme il sied à un défini, que quand il renvoie à une réalité autrement spécifique et déterminée (« Le niveau de la crue atteindra les six mètres déjà rencontrés le mois dernier », par exemple) ? La température ne serait pas plus difficile à supporter en « dépassant 35 degrés », ni l'amende plus amère « en atteignant 1 500 euros ». Le Petit Robert le confirme d'ailleurs par trois fois en légitimant « atteindre 70 ans », « atteindre 5 000 mètres », « atteindre deux millions aux enchères ».
Superfétatoire, ce « les », cela ne semble donc faire aucun doute. Incorrect ? Difficile de l'affirmer, en revanche, aucun ouvrage consacré aux difficultés de la langue française n'étant venu jusqu'ici, sauf erreur de notre part, le critiquer. Pis : l'Académie, dans la toute dernière édition d'un Dictionnaire qui — sur le papier en tout cas — fait toujours autorité, l'accueille sans sourciller le moins du monde, par le biais de l'exemple « Cette voiture atteint facilement les deux cents kilomètres à l'heure » !
Reste plutôt à savoir ce qui a pu pousser ainsi l'usage à « faire compliqué » quand il pouvait « faire simple ». Volonté plus ou moins consciente de souligner par ce pluriel emphatique le niveau atteint ? Ellipse d'un mot intermédiaire qui aide à visualiser ce niveau (la barre des six mètres, le cap des 100 000 chômeurs) ? Allez savoir ! N'a-t-on pas vu plus surprenant encore, comme de mêler singulier et pluriel dans une expression telle que « fêter ses un an » ?
Mais nous allons devoir vous planter là, ayant... atteint les 2 300 signes et espaces qui nous sont dévolus (rien à redire ici, vu la relative qui suit). À dimanche prochain, sous une nouvelle bannière : celle de la Vie quotidienne !