Des bas-fonds au sommet :
l'irrésistible ascension
de la « revoyure »...

< dimanche 11 octobre 2020 >
Chronique

S'il est un mot qui n'est pas menacé de quarantaine, c'est bien celui de « revoyure ». Qui s'en étonnera, d'ailleurs, par ces temps troublés où, sans vergogne aucune, se succèdent contrordres et volte-face ?

Le drôle est partout, histoire de nous rappeler qu'au royaume du coronavirus la vérité du jour ne saurait être celle du lendemain. C'est Renaud Muselier qui, il y a quelque quinze jours, réclamait une « clause de revoyure » après la fermeture des bars et restaurants marseillais. Mais, avant lui, c'est Édouard Philippe, alors Premier ministre, qui l'avait évoquée en fixant le second tour des municipales au 28 juin : le Conseil scientifique était invité à réévaluer la situation deux semaines plus tard en fonction de l'évolution de l'épidémie.

N'allons pas faire celui qui s'étonne : revoyure a beau briller par son absence à l'Académie et la clause en question être snobée par le Petit Larousse, la Toile, elle, regorge d'allusions à ce que Robert définit pour sa part comme « l'engagement des signataires d'un contrat à réexaminer les termes de ce dernier dans un délai convenu ». L'écurie d'Alain Rey va même jusqu'à dater cette acception du début des années quatre-vingt et à circonscrire son rayon d'action aux domaines du droit d'abord, de la politique ensuite : il n'est pas rare en effet que le gouvernement s'engage, devant le Parlement, à réexaminer des dispositions législatives au terme d'une période d'expérimentation définie par la loi.

Dont acte. Ce que tout cela ne nous dit pas, pourtant, c'est par quelle opération du Saint-Esprit a pu s'infiltrer, dans un lexique aussi collet monté que celui du droit, un vocable qui sent autant le soufre. Depuis son apparition au XIXe siècle, pas un dictionnaire qui ne souligne son côté familier, populaire, voire argotique. Dans la bouche du Coupeau de L'Assommoir, sous la plume d'un Queneau ou d'un Marcel Aymé, « À la revoyure ! » est évidemment à sa place. Mais, avec ce suffixe qui sent la parlure et empeste la friture, comment est-il parvenu à s'impatroniser dans un discours plus enclin à se gargariser de « baux emphytéotiques » et de « contrats synallagmatiques » ? Il y a là un authentique mystère, comme seule sait en inventer la langue.

À moins que la République, en accueillant ce gueux, ce dépenaillé dans ses bulletins officiels, n'ait voulu prouver que l'ascenseur social pouvait encore fonctionner ? Pour les mots, s'entend...