D'où sort l'e-mail ?
« Béni soit qui... malle y pense ! »

< dimanche 13 septembre 2020 >
Chronique

Un ouvrage sur la langue qui se réclame de La Voix du Nord ne saurait être tout à fait mauvais. Quand de surcroît il est signé Jean Pruvost, l'un des meilleurs spécialistes du sujet, le doute n'est plus même permis.

L'ouvrage en question, La Story de la langue française, se propose, avec un zeste bienvenu de provocation, d'établir « ce que le français doit à l'anglais et vice versa ». Trois cent cinquante pages d'érudition et d'humour mêlés, bien propres à dédramatiser le traditionnel contentieux entre rosbifs et mangeurs de grenouilles.

Mais nous vous laissons découvrir ce qu'il vaut mieux ne point déflorer (en voilà un que nous préférons à divulgâcher, ce dernier mît-il nos linguistes en pâmoison) pour nous concentrer sur la seule mise en bouche qu'évoque notre chapeau. Non sans émotion, l'auteur s'y souvient des vacances passées chez sa grand-mère, en particulier de la malle (« c'est ainsi qu'on appelait avec ou sans majuscule le ferry-boat reliant Folkestone à Boulogne-sur-Mer ») qui dégorgeait chaque jour son contingent de voitures remplies à ras bord de « monstères d'Angliches ».

La chose ne doit pas étonner : de même que le paquebot fut à l'origine un packet-boat, soit un « bâtiment qui passe et repasse pour porter les lettres », cette malle fut un « navire qui assurait un courrier régulier », en digne descendante de la malle-poste transportant les dépêches et accueillant à l'occasion quelques voyageurs.

Au-delà, donc, du plaisir nostalgique (et pour nous flatteur) d'évoquer l'aïeule occupée à lire votre journal préféré, l'occasion d'un rapprochement inattendu entre ladite malle et cet e-mail qui a fait couler tant d'encre et de fiel. La polémique eût peut-être été moins vive si l'on s'était rappelé que la malle fut française quelque trois cents ans avant que mail, sous son influence, ne devînt anglais ! C'est qu'en matière d'étymologie un prêté est souvent suivi d'un rendu...

On se consolera moins aisément de la mise au rancart de notre mail à nous (celui, vous savez, qui rime avec la seule moutarde qui m'aille). Cette promenade bordée d'arbres, ainsi nommée parce qu'elle ressemblait à un terrain de croquet peuplée de... maillets, ne survit plus guère que dans un titre d'Anatole France, L'Orme du mail (*).

À éviter aujourd'hui dans une liste de bac, si l'on ne veut pas, susurre Jean Pruvost, entendre ce mail-là prononcé à l'anglaise !

 

(*) Il semble en revanche revenir en force, et le Petit Larousse s'en fait l'écho, au sens de « voie piétonne dans un centre d'activités commerciales ou tertiaires, incluant éventuellement un ensemble résidentiel ». Là encore, le mall anglo-américain n'est pas loin !

 

La Story de la langue française, par Jean Pruvost (éd. Taillandier) ; 14 x 20,5 cm ; 368 p., 20,90 €