« Le Dico », hors des sentiers battus
de la lexicographie
Un nouveau dictionnaire, c'est toujours une aubaine pour les amoureux de la langue. Surtout quand, comme c'est le cas ici, il n'est en rien question de jouer les resucées d'ouvrages qui ont déjà pignon sur rue.
Ce Dico (son nom est à lui seul un programme) n'entend rien de moins que « bouleverser les codes de la lexicographie » en redonnant la parole aux usagers. Sa nomenclature doit beaucoup aux statistiques de la consultation en ligne du Wiktionnaire. Autrement dit — et sans connotation péjorative aucune, il va sans dire — au lectorat d'en bas. Les éditions Garnier ont voulu voir là la promesse d'un dictionnaire libre (entendez affranchi de la tutelle des « cercles académiques »), moins normatif que descriptif, et surtout représentatif « de la richesse et de la diversité » du français d'aujourd'hui.
Partant, il ne servirait de rien de s'étonner de la place plus qu'enviable faite ici aux anglicismes (ghosting, leaker, queer, etc.), au risque, pleinement assumé, de les légitimer. Et pas davantage de celle réservée aux argots professionnels : la khôlle des prépas et le chapô des journalistes n'apportent rien aux graphies traditionnelles, lesquelles incluaient déjà ces acceptions particulières. Mais l'objectif est en l'espèce de célébrer une « langue vivante » et, pour vivre, il faut bouger !
Force est donc de reconnaître que le cahier des charges a été respecté. Ajoutons que l'objet a fière allure, que typographie et mise en pages sont des plus efficaces et que la lisibilité, en dépit de quelques surprises anecdotiques dans les annexes, est parfaite. Quant aux notules étymologiques, comment leur rendre mieux justice qu'en regrettant leur trop petit nombre ?
Alors oui, et parce que l'on ne saurait laisser croire que l'on s'est borné à lire le prière d'insérer, nous avons relevé çà et là quelques impairs. Les habitants de Saint-Denis auraient gagné à s'appeler Dionysiens au lieu de « Dyonisiens » ; la nouvelle orthographe à être indiquée toujours plutôt que souvent (quid de cahutte, dime, douçâtre, garroter, millepatte ?) ; certains pluriels épineux, de noms composés surtout (crocs-en-jambe, sauf-conduits), à être précisés. Cela dit, rien qui vaille que l'on jette le bébé avec l'eau du bain, d'autant que la concurrence n'a jamais été, elle non plus, exempte de tout reproche : chacun sait que, si la critique est aisée, la lexicographie est un art difficile...
Le Dico (éditions Garnier, en partenariat avec Wikimedia France) ; 40 000 noms communs, 100 000 définitions ; 16 x 26 cm, 1712 p., 24,50 €.