Rien ne serait plus préjudiciable
qu'une orthographe à la carte...

< dimanche 7 juillet 2019 >
Chronique

J'ai toujours eu un faible, que d'aucuns jugeront coupable, pour les gens qui ont du style. Peu importe qu'ils ne pensent pas comme moi, pourvu que leur plume — ce n'est pas si fréquent — coure, alerte, sur le papier...

Jacques Julliard est de ceux-là. En pleine « guerre du nénufar », il n'a certes pas eu que des mots aimables pour les malheureux qui ne partageaient pas d'emblée ses vues progressistes. Du moins le faisait-il avec talent, et ses empoignades avec Delfeil de Ton, dans les colonnes du Nouvel Observateur, sont restées fameuses. À présent que la passion est (un peu) retombée et qu'il s'est transporté, avec armes et bagages, chez Marianne, comment ne pas être tenté de vérifier si, quelque trente ans plus tard, il est resté fidèle à ses idéaux ?

Cela s'est fait à l'occasion d'un édito récent, superbe éloge d'un rugby français pourtant en perte d'âme et de vitesse, dédié au regretté Michel Serres, fou comme lui de ballon ovale. Eu égard à ses convictions d'antan, je n'ai pas été étonné d'apprendre qu'une armoire à glace pouvait « manier la balle avec une délicatesse de dentelière ». Ce « l » unique a toujours fait partie, au nom de la prononciation, des credo de la nouvelle orthographe, et je dois avouer que la chose ne m'empêche pas de dormir tant qu'elle n'arrive qu'aux autres.

Quelle ne fut pas ma surprise, en revanche, en découvrant plus bas une équipe d'Agen « au faîte de sa grandeur », quand, on le sait, ce circonflexe-là a été mis à l'index par les Rectifications de 1990 ! Deux poids, deux mesures, alors ? Qu'en pense, là-haut, un certain Desproges qui voulait qu'une porte soit ouverte... ou bleue ?

Là réside le principal danger de cette réforme, sinon pour l'orthographe elle-même, du moins pour l'apprentissage de la rigueur dont elle devrait justement constituer le premier pilier. Dans le catalogue des nouvelles règles, chacun fait visiblement son marché, obéit à ce qui lui parle pour faire la sourde oreille au reste. Et en toute impunité puisqu'il lui sera toujours loisible, si le besoin s'en fait sentir, de se réclamer de l'un ou de l'autre code en vigueur (*).

Était-ce vraiment le signal à donner à une jeunesse par trop encline à s'accommoder, en cette matière comme dans beaucoup d'autres, de l'à-peu-près ?

 

(*) Attention, cela dit, à ces « trois quarts » qu'encense l'ami Jacques et qui, au rugby, prennent un trait d'union, aujourd'hui comme hier...