Petit Larousse 2020 :
sous la paille des mots nouveaux,
l'éternel grain des choses...

< dimanche 12 mai 2019 >
Chronique

Avoir ses entrées à l'Élysée, c'est bien. Mais avoir son entrée dans le Petit Larousse, c'est mieux ! Autrement difficile, aussi : comme aurait pu le dire André Malraux, on n'entre pas ici comme dans un moulin.

Au rayon des noms propres, les choses sont claires : il suffit, comme notre Dédé national, de remporter la Coupe du monde et le tour est joué. Pour les noms communs, en revanche, quel est le bon plan pour gagner sa place parmi les quelque cent cinquante néologismes que s'arrachent, chaque mai que Dieu fait, les gazettes hexagonales ? Le lancement de l'opus 2020, mardi dernier au Sénat, nous a permis de dresser le portrait-robot des heureux élus.

Pour intégrer un dictionnaire traditionnellement acquis à la modernité, l'idéal consiste bien sûr à être dans l'air du temps. Même moche, dédiésélisation allait par exemple de soi. Et avec lui, puisqu'il faut rendre compte des mutations sociétales, économiques et technologiques de l'époque, locavorisme (mouvement qui prône la consommation de fruits et légumes locaux et de saison), ubérisation (ringardisation d'un modèle économique existant) et antispécisme (refus de toute hiérarchisation des espèces animales). De fait, ces vocables ne se sont-ils pas impatronisés dans nos conversations sans qu'on sache toujours ce qu'ils signifient exactement ?

Cela dit, il est d'autres atouts que l'on ne saurait négliger. Le régionalisme, d'abord. Vous serez probablement benaise (« bien aise », dans les Charentes) d'apprendre que klouker (« se goinfrer », en Bretagne) rend gonfle (« repu », en Provence ou dans le Lyonnais). Moins indispensable, sans doute, mais n'importe-t-il pas, par ces temps qui virent facilement au jaune, de donner des gages aux « territoires » et aux langues de France ? À la francophonie, aussi, dont l'exotisme lexical ne peut que trancher des plus heureusement sur la grisaille ambiante : vive l'emportiérage québécois qui vous fera renverser un cycliste en sortant sans précaution de votre voiture ; le précieux — et ô combien précis ! — quinine, lequel désigne n'importe quel médicament au Tchad ; voire le tentant tata, geste du mouflet néo-calédonien pour dire bonjour ou au revoir. C'est sûr, on va mieux dormir.

Pour un peu, on en oublierait l'essentiel : il y a plus de soixante mille autres mots dans ce Petit Larousse, épatant à l'image de ses aînés. De quoi renouer avec le grain des choses, une fois dispersée la paille éphémère des mots nouveaux !