À présent que la Chine
s'est éveillée,
il n'est plus temps de... chinoiser !

< dimanche 31 mars 2019 >
Chronique

Xi Jinping a vu déployer pour sa venue en France tout le faste de la République : le meilleur de notre gastronomie avec quatre chefs étoilés, le meilleur de notre culture avec Hélène (sans les garçons), etc.

C'est que, realpolitik oblige, l'heure n'est plus vraiment à la fine bouche ! Mieux valait éviter de rappeler au futur maître du monde (et plus que jamais quand il passe commande de quelque trois cents Airbus) que, dans notre langue, l'empire du Milieu n'a pas toujours été chouchouté. Démonstration par le menu... lexical.

Du côté du mot chinois, déjà, il n'y a jamais eu de quoi s'enflammer. Quand il ne désigne pas par là une passoire ou une petite orange amère, le pékin s'en sert surtout pour se gausser de quelque chose d'incompréhensible, à l'instar d'une circulaire pédagogique de l'Éducation nationale. Hier, c'était de l'hébreu ou de l'iroquois, aujourd'hui c'est du chinois. On a connu des successions plus glorieuses !

Enthousiasme tout aussi peu délirant pour la chinoiserie, laquelle renvoie, au sens propre, à un « bibelot de goût chinois ». Le suffixe -erie faisant essentiellement dans le péjoratif en français (bouffonnerie, charlatanerie, fumisterie, goujaterie, mesquinerie, n'en jetez plus !), on vous laisse deviner quel goût. Au sens figuré, ce n'est guère plus probant : est-il besoin de préciser, aux usagers réputés peu commodes que nous sommes, ce que l'on entend d'ordinaire par « chinoiseries administratives » ?

Quant au verbe chinoiser (« ergoter », « pinailler »), on est fondé à se demander comment l'éternel chinois a pu se trouver ainsi associé à une discussion jusqu'à plus soif sur des vétilles ! Peut-être parce que, pour l'imaginaire français, comme l'avance prudemment Alain Rey dans son Dictionnaire historique de la langue française, tout ce qui a trait à la Chine a toujours connoté, outre la « bizarrerie » — voire la « cruauté » (que l'on songe au légendaire supplice chinois) —, la « subtilité intellectuelle » ? Et c'est vrai qu'a priori il faut avoir l'esprit plutôt vif pour survivre aux idéogrammes qui lui tiennent lieu d'écriture !

Mais ça, c'était avant que le jaune ne devînt à la mode, et pas seulement grâce à ses gilets. Nos habits (prétendument) verts feraient bien de s'en aviser et de passer leur propre Dictionnaire au tamis du linguistiquement correct. Il y a manifestement urgence !