Entre passé et avenir,
le charme discret de l'éternel agenda...

< dimanche 30 décembre 2018 >
Chronique

C'est le plan B pour tous ceux qui ne savent plus quoi offrir le soir du réveillon. Mais aussi pour le chroniqueur de langue qui, depuis des lustres, n'a que trop généreusement secoué le « marronnier » de l'an neuf !

Est-il en effet témoin plus convaincant de la présence occulte du latin parmi nous ? Quand le détritus et l'aquarium, pour ne citer que ces deux-là, ont quelque peine (surtout depuis Astérix et un certain Goscinny) à masquer leurs origines, il n'en va pas de même pour cet agenda qui s'est, lui, totalement intégré. Qui s'avise aujourd'hui que le mot — pluriel neutre de l'adjectif verbal du verbe agere — renvoyait initialement aux « choses devant être faites » ? Que l'on soit ainsi passé du pluriel au singulier, qu'aucun accent ne se soit révélé nécessaire pour franciser le vocable, que seule la prononciation ait évolué (ce que personne n'a d'ailleurs eu l'occasion d'aller vérifier), voilà qui, n'en doutons pas, aura encore contribué à brouiller les pistes.

Sans compter le changement de catégorie grammaticale, un verbe s'étant ici réincarné en nom. Ont bénéficié du même traitement de faveur le lavabo (littéralement, « je laverai ») dont Lagaf' a autrefois loué la beauté, l'accessit (« il s'est approché »), l'imprimatur (« qu'il soit imprimé »), le mémento (« souviens-toi »), le veto (« je m'oppose »)...

Preuve supplémentaire de l'assimilation modèle de notre agenda, le fait que, depuis quelques années, et notamment chez nos voisins helvètes, il soit retourné à sa condition première de verbe sous la forme, dûment bénie par nos dictionnaires, d'agender, « noter, inscrire dans un agenda ou sur un calendrier ». Nous mentirions en prétendant que la chose nous paraissait indispensable à la survie de la langue française, mais, c'est bien connu, ce que la branchitude veut, le lexicographe chasseur d'inédit finit par le vouloir aussi.

Gageons que, dans les sphères les plus éthérées du pouvoir, d'aucuns ont d'ores et déjà « agendé » pour les mois qui viennent un autre mot que l'on doit aux Romains, celui de référendum (« ce qui doit être rapporté et soumis à l'approbation »). Pas sûr que, dans un environnement moins jaune, ils y eussent pensé d'eux-mêmes. Pas sûr non plus que la perspective les remplisse d'aise : qui ne sentirait que, à moins d'une délimitation... drastique du bidule, tout le monde risque d'y perdre son latin ?