Comment l'écoute initiale se transforme
peu à peu en dialogue de sourds...
Paradoxalement, on ne s'est jamais autant « entendu » qu'en ce moment : le verbe fleurit sur toutes les lèvres qui s'offrent aux micros. Las ! sous la paille des mots, le grain des choses est moins nourrissant...
Il suffit de tendre l'oreille pour remplir son cabas. « J'entends la colère », assure le chef de l'État. « J'entends ce que disent les Français », renchérit le Premier ministre. « J’entends l’incompréhension et la demande de nos concitoyens qui veulent savoir quelle est la logique de notre politique », précise Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales. Qui n'aurait pourtant remarqué que cette entrée en matière annonce invariablement un « mais », lequel vient aussitôt doucher les espoirs qu'elle avait fait naître ? Le chroniqueur de langue se souvient lui-même de cette autre vie où il était prof. Dans ses appréciations aussi, la carotte précédait le bâton plus souvent qu'à son tour : « Quelques pistes prometteuses, mais le devoir ne débouche sur rien : 6/20. » C'est qu'il ne faut pas désespérer Billancourt. Ni personne d'autre, d'ailleurs !
Naguère, quand on voulait calmer ces « Français qui se cabrent », on affirmait qu'on les avait « compris ». On ne va plus même jusque-là, aujourd'hui, quand le verbe entendre aurait quelquefois ce sens. Il semblerait cependant qu'il s'agît plutôt d'« accueillir avec sympathie les propos de quelqu'un (au sens étymologique, de « souffrir avec lui », ce qui n'engage à rien) et d'agir en conséquence (ça, c'est une autre paire de manches) ». En réalité, ce qui compte surtout, c'est de ne pas donner l'impression que l'on ne veut... rien entendre ! C'est cela qui relèverait de la faute politique. Qu'après, une fois que les apparences ont été sauvées, on se retire sur la pointe des pieds, c'est dans la nature des choses. Le « bon entendeur » ne se sent-il pas autorisé à vous quitter d'un simple « Salut ! » ?
Le piquant de l'affaire, c'est que la langue avait tout prévu. Et notamment que le verbe entendre, sous ses dehors bonhommes, puisse cacher une volonté inflexible : « Je vous entends... mais j'entends plus encore que vous vous rendiez à mes arguments ! »
La sagesse populaire prétend depuis toujours qu'« il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ». À la lumière de la brûlante actualité, on serait pour le moins fondé à en douter ! Mais peut-être tous ces gens finiront-ils quand même par s'entendre. Sur un... malentendu, sait-on jamais ?