De la versatilité, ou
comment se faire rouler par une pelle...

< dimanche 28 janvier 2018 >
Chronique

Un responsable du Pentagone a, il y a peu, défrayé la chronique en suggérant d'achever à coups de pelle les djihadistes de l'État islamique qui ne se rendraient pas spontanément aux forces de la coalition.

Passons sur l'émoi, sincère ou feint, qu'ont provoqué ces paroles pour le moins directes et ne retenons ici, comme il se doit sous une telle rubrique, que l'aspect proprement linguistique de l'information. Ledit militaire a, dans la foulée, publié sur les réseaux sociaux un graphique expliquant comment utiliser une pelle à des fins létales : « Presque tous les soldats en portent. C'est une arme versatile et formidable », a-t-on pu lire dans la quasi-totalité des médias français.

Nous ne serions pas autrement surpris que vous laisse pantois le rapprochement de deux adjectifs que, jusqu'ici, tout opposait (et oppose encore dans la plupart de nos dictionnaires). Difficile de faire plus positif que formidable. Quant à versatile, gageons que, s'il avait dû s'incarner en un homme politique, il aurait immédiatement rappelé Edgar Faure et son excuse célèbre : « Ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent ! » N'utilise-t-on pas depuis toujours l'adjectif en question pour qualifier quelqu'un qui, sans la moindre gêne, retourne sa veste, ou à tout le moins change d'avis comme de chemise ? Inconséquent, inconstant, irrésolu, lunatique sont les synonymes qui viennent les premiers à l'esprit, et chacun conviendra que ce ne sont pas là, d'ordinaire, des vocables qui émargent au budget des compliments !

Que s'est-il donc passé pour qu'un défaut devienne récemment une qualité âprement recherchée ? Car il n'est que trop clair que, de plus en plus, notre versatilité se mue en polyvalence. On hésite de moins en moins à parler d'un « sac à main versatile » quand il vous accompagne aussi bien dans une sortie décontractée que dans le pince-fesses de la haute. Et pour ce qui est du joueur que cherche désespérément le PSG afin de se renforcer, nul doute qu'on ne le qualifie de « versatile » si, indifféremment, il peut occuper le milieu de terrain ou jouer aux avant-postes !

La coupable, mais vous vous en doutiez, s'appelle une fois de plus Albion. C'est qu'il y a plus grave que l'adoption pure et simple d'un mot anglais au sein d'un lexique qui pourrait aisément s'en passer : c'est l'emploi d'un mot français au sens anglais (versatility). Voilà un poison qui tue plus lentement, mais aussi plus sûrement...