Moins connus
que les emprunts russes :
les emprunts... au russe !
Combien passionnant se révèle le roman que consacre Jacques Messiant à Valentina Nikolaiéva Tichonowa, citoyenne russe qui, par amour pour un Français rencontré au stalag, quitta tout pour venir s'installer... à Roubaix !
Le livre refermé (à regret), le chroniqueur de langue ne peut que se poser la question : cette idylle hors norme, sublimée par une héroïne haute en couleur, est-elle à l'image de celle qu'auraient vécue les langues française et russe ? Force est — hélas ! — de répondre par la négative. Si le français s'est taillé une place enviable (par le passé du moins) dans le vocabulaire russe, la réciproque n'est pas vraie : une centaine de mots usuels tout au plus, dont beaucoup (babouchka, balalaïka, matriochka, moujik) relèvent du folklore touristique.
Deux domaines font néanmoins exception, histoire de donner raison à l'image d'Épinal qui veut que le Français soit un animal politique aimant la bonne chère. Blini, borchtch, pirojki, zakouski, ont chez nous fait leur trou, que la vodka n'a pas manqué d'arroser ! Quant à l'histoire de l'URSS, elle a contribué à renouveler de fond en comble le lexique des commentateurs de notre vie publique : comment ferait-on sans la glasnost et la perestroïka, les apparatchiks et la nomenklatura ?
Hors ce qui précède, peu de mots se seront glissés incognito sous le rideau de fer. Leur mérite n'en est que plus grand. L'oukase (avec ou sans « o »), à l'origine « édit du tsar », fait florès pour flétrir une décision unilatérale. Gloire aussi au kopeck, cette monnaie que l'on aime surtout à évoquer... quand elle déserte nos porte-monnaie ! Que dire enfin de ces hooligans réputés anglo-saxons, mais qui doivent sans doute tout autant aux jeunes asociaux hostiles au régime soviétique ? que là réside peut-être la cause cachée de ces rixes qui, lors du dernier Euro de football, mirent aux prises rosbifs et popov du côté du Vieux-Port ?
Parmi ceux qui cachent autant leur jeu qu'un espion du KGB, on citera encore l'inattendu robot (rabota renvoyant en vieux slave au « travail physique »), et éventuellement bistro(t) : la légende est belle, qui associe le mot au « Bystro ! » (« Vite ! ») des cosaques qui occupaient Paris en 1814, et entendaient par là être servis les premiers au cabaret. Cela dit, les avis divergent, et sont aussi sur les rangs le bistraud poitevin (aide du marchand de vin) ainsi que notre bistouille. C'est qu'il ne saurait être question de laisser filer à l'étranger ce qui constitue un autre fleuron de notre patrimoine national !
« Valentina, une jeunesse volée », par Jacques MESSIANT (éd. Nord Avril) ; 366 p. 14,5 x 22 cm, 17 €.