Antan, jadis, naguère...

Tout ça, c'est du passé !

< mardi 26 août 1997  >
Chronique

Un Sarthois se demande, des plus malicieusement, si nous ne sommes pas nous-même tombé dans une de ces chausse-trapes que nous décrivons un mardi sur deux. N'avons-nous pas eu tort, s'interroge-t-il pour la forme et avec cette pointe de jubilation bien légitime que l'on éprouve face à un arroseur que l'on croit enfin arrosé, de déclarer à un journaliste d'Envoyé spécial que l'orthographe était moins maîtrisée que naguère ? Ne fallait-il pas plutôt user de jadis ? Au risque de décevoir notre honorable contradicteur, nous n'en croyons rien. Certes, nous n'ignorons pas que naguère signifie au sens propre : « il n'y a guère (de temps) ». Mais qui ne verrait qu'il entre dans cette définition une part non négligeable de subjectivité, sinon de relativité ? Que pèsent, après tout, quarante ou cinquante ans — car c'est bien à cela que nous songions — en regard de l'aventure humaine ? Employer jadis, n'était-ce pas courir le risque de laisser croire à une dégradation de l'écrit beaucoup plus ancienne qu'elle ne l'est en réalité et qui remonterait, à tout le moins, au siècle précédent ? Si l'étymologie est une chose, l'usage, en effet, en est une autre. Qui utilise encore antan (du latin ante annum) pour évoquer « l'année d'avant » ? Qui s'avise que l'adjectif suranné, aujourd'hui assimilé à vieillot (quand ce n'est pas à antique !) signifie au sens strict : « qui a plus d'un an » ? Et que dire de jadis, qui, à l'origine, n'est rien de plus que la déformation de l'ancien français ja a dis : « il y a déjà des jours » ? Si l'on s'en tenait à la seule étymologie, on pourrait recourir à jadis... pour parler de la semaine dernière ! Preuve qu'en toute chose il faut raison garder : évitons, c'est entendu, de faire appel à naguère pour des temps trop reculés, où il subirait la concurrence stérile de jadis et d'autrefois ; mais ne le confinons pas, à l'inverse, dans un passé trop récent qui lui ferait perdre toute spécificité. À l'instar du Petit Larousse qui le définit d'un « il y a quelque temps » prudent à souhait, il ne nous semble pas scandaleux de justifier son emploi tant que l'on n'outrepasse pas les limites d'une vie humaine...