Quand un tic de langage
cache toute une conception
de l'action politique...

< dimanche 4 juin 2017 >
Chronique

A-t-on suffisamment ironisé sur la propension de notre nouveau président de la République à user du tour « en même temps » ? Plus qu'une concession à la mode, ne s'agirait-il pas chez lui d'un véritable credo ?

Sa prof de lettres d'épouse, qui réglemente jusqu'à sa consommation de chocolat, n'aura sans doute pas manqué d'attirer son attention sur le caractère peu orthodoxe de la formule ! Tant que celle-ci se borne à traduire une simultanéité, une concomitance, rien à dire. Mais quand, et c'est de plus en plus souvent le cas, on veut lui faire exprimer une restriction, c'est une autre histoire : nombre de dictionnaires jouent du reste les abonnés absents, et si le Petit Robert consent à en faire occasionnellement un synonyme de cependant (« Il n'a pas les compétences requises ; en même temps, il est très motivé »), c'est pour qualifier aussitôt cet emploi de... familier.

C'est sûr, d'un autre côté vous exposera moins à la vindicte des puristes ! Qu'il me soit pourtant permis de confesser ici une relative indulgence pour ce glissement de sens. Temps et opposition n'ont-ils pas toujours été proches au sein de notre syntaxe ? Une conjonction comme quand, des locutions comme alors que, tandis que sont communes à ces deux nuances circonstancielles. Dès que deux réalités cohabitent, n'est-ce pas, la plupart du temps, pour s'affronter ?

Avec Emmanuel Macron, qui entend substituer au classique « ni droite ni gauche » des centristes d'hier un « et droite et gauche » autrement œcuménique, le tic de langage prend une nouvelle dimension. On reprochait à la formule son côté bâtard, fade, pusillanime. On moquait sans vergogne cette incapacité à exprimer un avis tranché, par le biais d'un mais, d'un toutefois qui tourneraient moins autour du pot. Et voilà que soudain la faiblesse devient qualité ; la timidité, courage ; l'indécision, audace. La coupable inclination à ménager la chèvre et le chou, désir louable de réconcilier et de rassembler !

Rien ne dit que ça... marchera, ni que les actes prendront le relais des mots. En même temps (!), feront valoir certains, qu'est-ce qu'on risque ? Du moins se sera-t-on vu confirmer que le discours de nos politiques révèle davantage par sa syntaxe que par les termes ronflants dans lesquels ils aiment à se draper comme dans autant d'étendards.