Quand la « collaboration »
n'était envisageable qu'entre conjoints...
Il y a des mots comme ça qui portent la poisse. Premier ministre, François Fillon supportait difficilement que Nicolas Sarkozy le présentât comme son « collaborateur ». Il y voyait sans doute un brin de condescendance...
Et voilà qu'au moment où il croyait prendre sa revanche et toucher enfin le Graal, c'est une « collaboratrice » qui menace de tout remettre en cause ! Que celle-ci lui soit très... attachée (parlementaire), puisqu'elle n'est autre que sa femme, ne change rien à l'affaire : ce mot-là semble décidément avoir été inventé pour lui faire souffrir mille morts.
En soi, ledit mot n'a pourtant rien de bien méchant. S'il a certes laissé quelques plumes sur le terrain de la Seconde Guerre mondiale, c'est surtout l'apocope collabo qui sent le soufre. La forme complète, elle, a réussi à préserver l'essentiel de son honorabilité : connote-t-elle autre chose, étymologiquement parlant, que le fait de « travailler avec quelqu'un » ?
C'est d'ailleurs là que le bât blesse un tantinet : s'il n'y a pas grand monde aujourd'hui pour contester que le couple Fillon soit uni et que Penelope se soit toujours trouvée au côté (cum, « avec ») de son mari, c'est le laborare (« travailler ») qui fait plutôt débat !
N'allez pas croire, cela dit, que l'étymologie n'ait que de mauvais côtés. À tous ceux (aux dernières nouvelles, ils semblent nombreux) qui se disent choqués que l'on puisse recruter son conjoint, elle rappelle que c'est là, au contraire, l'essence même de la collaboration : le Dictionnaire historique de la langue française nous apprend que le latin médiéval collaboratio s'est appliqué, au IXe siècle et en droit, à la « possession acquise par les époux par un travail commun ». Ce fut même là le sens premier du mot, bien avant que, par extension, celui-ci n'en vienne à désigner tout travail effectué avec d'autres. Voilà ce qu'il eût fallu dire sur le plateau d'un Gilles Bouleau au patronyme prédestiné pour parler d'éventuels emplois fictifs, au lieu d'aller alourdir encore une barque déjà bien pleine en mouillant ses enfants !
Au fond, tout le mal vient de ce que le vainqueur de la primaire de la droite et du centre ne compte pas parmi ses collaborateurs un linguiste plutôt que des juristes. Et rien ne dit qu'il en trouve un facilement, à présent que chacun connaît la part de l'enveloppe qui revient de droit à sa moitié...