« Loire » ou « Loir » :
de Du Bellay à Delpech,
comment s'y reconnaître ?
Pour le Français, qui ne passe pas pour un crack en géographie, la vie est tout sauf un long fleuve tranquille : entre Loir et Loire, il n'est pas toujours facile de mener sa barque orthographique ! Que l'on en juge...
Le regretté Michel Delpech a pourtant fait ce qu'il fallait pour le Loir-et-Cher : on a beau, à l'entendre, y marcher dans la boue, le risque, grâce à lui, est moindre de se ramasser que pour l'Eure-et-Loir, l'Indre-et-Loire, le Maine-et-Loire et la Saône-et-Loire ! Cela dit, il existe un truc infaillible, que les initiés nous pardonneront de révéler ici : pour ces départements à problèmes, le nombre de lettres est toujours identique de part et d'autre de la conjonction et ! Elle n'est pas belle, l'orthographe, quand elle se plie en quatre pour vous aider à retenir une liste de départements que vous n'apprenez plus ?
Mais puisqu'il semble acquis que, par-delà les siècles, les grands esprits sont appelés à se rencontrer, comment ne pas faire allusion à l'un des plus fameux poèmes de notre littérature, à savoir Heureux qui comme Ulysse, de Joachim du Bellay ? Qui ne connaît en effet son antépénultième vers, « Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin » ?
D'aucuns se sont étonnés de ce masculin, au point de rétablir — la Toile en témoigne abondamment — la graphie Loir. Et ce, en contradiction flagrante avec les règles les plus élémentaires de la prosodie puisque, sans ce « e » qui doit se prononcer devant une consonne, on se retrouve ipso facto avec un vers boiteux de... onze syllabes !
Il en faudrait plus pour démonter les tenants du Loir, lesquels nous expliquent que c'est précisément pour satisfaire aux besoins de l'alexandrin que Du Bellay a ajouté un « e » à l'affluent de la Sarthe... Mais il suffit de déplier une carte pour constater que le village natal du poète (le « petit Liré » du vers suivant), de même que la capitale angevine dont il vante la douceur, est beaucoup plus proche de la Loire que du Loir !
Quant au masculin, s'il a de quoi surprendre les lecteurs du XXIe siècle que nous sommes, il s'explique plus sûrement par la tradition latine — bien vivace encore, même chez des poètes de la Pléiade décidés à promouvoir la langue française — qui masculinisait les fleuves. Tout cela coule finalement de source, non ?