Du « leader » au « leadeur » :
heurs et malheurs
de la lutte contre le franglais...
On est désormais fondé à écrire que Lyon et le PSG se disputent la place de « leadeur » de la Ligue de football : Larousse et Robert entérinent cette graphie. Avancée décisive, que nous devons aux Rectifications de 1990...
Oserons-nous écrire ici, si désireux que nous soyons de peser nos mots, que nous la trouvons ridicule ? Certes, il faut combattre, et d'arrache-pied, l'anglicisation galopante de notre lexique ; opposer aux envahisseurs, quand elle existe, une forme du cru. Dans le cas qui nous occupe, chef (de file), porte-parole, dirigeant feront tout aussi bien l'affaire, surtout dans le domaine politique. Meneur aura éventuellement son mot à dire, pour peu que l'expression vienne à se teinter d'une nuance péjorative. Dans le jargon journalistique, qui fait du leader un article traduisant — en première page, souvent — les orientations de la rédaction, éditorial et article de fond conviendront la plupart du temps.
Reconnaissons en revanche que, sur le terrain du sport, aucun de ces substituts ne colle : en dehors de la périphrase, par essence longue et lourde, qui installerait les équipes susdites « en tête du championnat », le français n'a pas grand-chose à proposer. Faut-il vraiment, dès lors, s'attaquer au seul délit de faciès ? maquiller sans vergogne la carte d'identité du prévenu en rafistolant son suffixe ?
Ce n'est pas la première fois, évidemment, que, faute de grives, on se rabat ainsi sur les merles. Avouons-le, « globe-trotteur » n'a en rien troublé nos nuits : le mot restait cohérent, il ne contrevenait à aucune des habitudes françaises. « Supporteur » était déjà plus contestable : ne risquait-il pas de légitimer le verbe supporter dans son acception — ô combien critiquée — de « soutenir » ? (Cela dit, il n'est point besoin d'expliquer pourquoi souteneur s'est trouvé disqualifié d'emblée !)
Mais s'agissant de « leadeur » ? À qui fera-t-on croire que celui-là est plus séant depuis qu'on lui a refait l'arrière-train ? Cette forme bâtarde, anglaise de la proue et française par la poupe, aurait plutôt des allures de monstre de Jurassic Park ! À quand le « leadeurship » ?
On nous objectera que cette retouche permet de décliner le mot au féminin (« leadeuse »), ce qui, en ces temps de « sexuellement correct », n'est pas peu ! Force est pourtant de constater que cette dernière rime avec hideuse, comme « leadeur » avec laideur...