L'accord du participe passé sacrifié
sur l'autel de la simplification à tout-va ?
Les grammairiens à l'origine des Rectifications de 1990 ne s'en sont jamais cachés, du moins en privé : ces mesurettes n'étaient qu'amuse-gueule avant le plat de résistance que représentait l'accord du participe passé.
Son tour est venu. Le Conseil international de la langue française (CILF) et le groupe Études pour une rationalisation de l’orthographe française d’aujourd’hui (EROFA) ont saisi autorités gouvernementales et instances de la francophonie. Ils demandent que le participe passé ne s'accorde jamais quand il est conjugué avec avoir, toujours avec être : écrire « les promesses qu'il a fait », « elle s'est dite », « ils se sont parlés » ne constituerait plus une faute. Le mot est d'ailleurs devenu tabou, car il stigmatise. Parlons plutôt d'une « application instinctive d'une logique grammaticale en passe de se substituer à des logiques antérieures ». Elle n'est pas belle, la vie ?
Bien sûr, une consultation a été lancée sur la Toile. Ne doutons pas du résultat : comme toujours en pareil cas, il sera favorable à la simplification, les troupes ayant été dûment rameutées du côté qui pense bien.
Au demeurant, que l'on se rassure : il nous est précisé qu'il « ne s'agit pas de révoquer la norme officielle, représentative d'un registre de langue soutenu, mais, comme l'usage la transgresse fréquemment, d'ouvrir aux utilisateurs un espace de liberté ». Cela dit, permettre à l'usager de désobéir à la norme, n'est-ce pas, ipso facto, la révoquer ? Autorisez le conducteur à snober la limitation de vitesse, à votre avis, que se passera-t-il ?
Le plus ébouriffant est l'exposé des motifs. On nous explique que, les fautes abondant dans les copies de nos élèves et dans la bouche de leurs aînés, il faut y remédier. En enseignant la règle ? Vous n'y pensez pas, on a essayé et ça ne marche pas. Mieux vaut donc la supprimer et consacrer « le temps économisé à des objectifs plus utiles ».
Nous vivons une époque formidable. On ne maîtrise plus le passé simple ? On lui substitue, dans la littérature pour adolescents, le présent de narration. On ne distingue plus un COD d'un COI ? On les déclare surannés. On n'est plus sûr que 2 et 2 fassent 4 ? On nous dira bientôt que cela reste la norme mais que répondre 3 relève de notre espace de liberté. Encore un effort (façon de parler !) et on finira par croire, malgré Baudelaire, que l'action est la sœur du rêve...