Philae et ses harpons : et si
l'on faisait un crochet par l'étymologie ?

< dimanche 16 novembre 2014 >
Chronique

Glorieuse incertitude de la science : l'homme peut aller taquiner une comète à quelque cinq cents millions de kilomètres de la Terre. Mais, à l'arrivée, trente ans d'efforts dépendent du fonctionnement d'un harpon !

Confessons-le des plus humblement : il aura fallu la fabuleuse épopée de Rosetta pour que nous vienne l'idée de jeter un coup d'œil sur le pedigree dudit harpon. Sans espoir excessif, d'ailleurs : qu'attendre de bien affriolant, sur le front de l'étymologie, de ce fruste ustensile, tout juste bon à valoir des pépins aux baleines ?

C'était le bout du monde nous escomptions, air de famille oblige, une vague accointance avec ces Harpies de sinistre mémoire, monstres à tête de femme et à corps de vautour, dont les griffes acérées mettaient le grappin sur tout ce qui bougeait. Intuition vérifiée : l'un comme les autres descendent du même verbe grec harpazéin, « piller, ravir ».

Et là, première surprise de taille pour le littéraire que nous sommes : jamais — horresco referens ! — nous n'avions seulement supposé que le Harpagon du grand Molière pût être coulé dans le même moule. La chose, quand on y pense, allait pourtant de soi : y a-t-il plus rapace qu'un avare aux doigts crochus ? plus prompt à saisir et à accaparer que le bien nommé... grippe-sou ?

Cela dit, le plus étonnant était à venir. Qui aurait en effet suffisamment d'imagination, quand ils se ressembleraient comme deux gouttes d'eau, pour soupçonner un rapport, même lointain, entre ce barbare et sanguinaire harpon et la gracieuse harpe — nous ne voulons pas, bien sûr, parler de l'outil en forme de croc, mais de l'instrument de musique, réputé délicat et féminin s'il en est ? Celui-ci, tout comme notre harpon, a pourtant pour origine le verbe roman harper, « saisir », les cordes de la harpe en question étant, rappelle le Dictionnaire historique de la langue française, pincées du bout des doigts ! Si l'univers est infini, le monde des mots est décidément petit...

Et c'est là que nous voulions en venir : chacun a les odyssées qu'il peut. Celle de la vie, à laquelle il nous a été donné d'assister, admiratifs, ces derniers jours, est parmi les plus fascinantes qui soient. Celle de la langue n'est pas mal non plus. Elle ne vous coûtera pas un milliard et demi d'euros, il vous suffira d'un dictionnaire...