À l'occasion de la Saint-Roméo

Noms de familles, je vous hais !

< mardi 25 février 1997 >
Chronique

Contrairement à ce que ce titre pourrait laisser croire, il ne sera pas question ici de ce vieil iconoclaste d'André Gide. Tout au plus du cri du cœur de nombre de nos lecteurs, dès qu'il leur faut mettre au pluriel les noms de personnes... Au demeurant, ils ne sont pas les seuls à patauger puisque même le Petit Robert illustré des noms propres s'y laisse prendre : l'article « Roméo et Juliette » fait état de la haine mortelle qui opposait, à Vérone, les Capulet aux Montaigu... ce qui n'empêche pas ces derniers de devenir Montaigus pour peu que l'on se rende à l'entrée « Capulet ». C'est tout dire !

Résumé des épisodes précédents : jusqu'au XVIIIe siècle, les noms propres prirent la marque du pluriel, imitant en cela les habitudes du latin. Avec l'instauration de l'état civil, pourtant, ces noms propres se sont peu à peu figés pour devenir, la plupart du temps, invariables. Seules deux exceptions ont longtemps prévalu : la première en faveur de quelques familles dont la gloire était ancienne (les Horaces et les Curiaces, les Césars, les Bourbons, etc.) ; la seconde — qui nous paraît plus défendable dans la mesure où elle se fondait sur la logique plus que sur la tradition —, chaque fois que le nom était pris au figuré pour désigner, non plus l'individu lui-même, mais un type, comme c'est le cas dans la phrase de Jean Rostand : « Combien de Mozarts naissent chaque jour en des îles sauvages ! » (Il n'est d'ailleurs pas rare, dans cette figure baptisée antonomase, que le nom propre devienne commun et, du même coup, perde sa majuscule : on parle aujourd'hui de cassandres et de dugazons, de dulcinées et de mécènes sans songer outre mesure aux personnages qui leur ont donné naissance !) Cela dit, ces deux exceptions sont de moins en moins respectées et personne ne vous reprochera plus, aujourd'hui, d'écrire des Roméo pour évoquer les amoureux transis... Surtout pas Joseph Hanse, qui, toute honte bue, prône l'invariabilité dans tous les cas. Cré nom de nom ! Et vous irez prétendre, après cela, que les journaux ne vous annoncent que de mauvaises nouvelles !