Littératie, numératie, impéritie :
la nouvelle devise de la France ?
Les Français sont nuls. C'est l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) qui le laisse entendre après avoir évalué, dans vingt-quatre de ses pays membres, les compétences des adultes en matière de « littératie » et de « numératie ». C'est bien simple : plus nuls que nous, on ne trouve guère que les Espagnols et les Italiens !
Certes, les tenants de la bouteille à demi pleine nous diront qu'au football, où OCDE s'écrit FIFA, on s'en satisferait : voilà qui nous éviterait déjà de passer par la case barrages de novembre. Mais c'est égal, quel camouflet pour la patrie de Descartes et des Lumières ! Et d'abord, béotiens que nous sommes, savons-nous seulement ce que sont la « littératie » et la « numératie » ?
L'auteur de ces lignes le confesse à sa grande honte : lui que la légende orthographique, dans un œcuménisme sexuel de bon aloi, a souvent fait coucher avec Robert autant qu'avec Larousse n'avait, jusqu'ici, entendu parler ni de l'une ni de l'autre ! Dans les éditions 2014 de ces frères ennemis de la lexicographie — on ne peut plus prompts, pourtant, à prêter l'oreille aux sirènes de la nouveauté — pas un mot, c'est le cas de le dire, de la « numératie ». La « littératie » ne passionne pas davantage Larousse : elle est toujours inconnue à son bataillon, comme, du reste, à celui du Trésor de la langue française informatisé. Seul Robert daigne lui consacrer une entrée, mais c'est pour constater aussitôt que cette « aptitude à lire et à comprendre un texte simple, à communiquer une information écrite dans la vie quotidienne » — ah bon ! il ne s'agissait que de ça ? — est en réalité un anglicisme qui gagnerait à se voir préférer... « littérisme ».
On aurait dû s'en douter : sous cette roche d'achoppement se cache une fois de plus l'anguille de la perfide Albion, qui a trouvé là l'occasion de nous fourguer un de ses vocables vieux de plus d'un siècle, literacy. Au demeurant, n'avait-on rien en magasin qui pût éviter au français l'humiliation de ce replâtrage à la va-vite ? Si curieux que cela puisse paraître, non. Le contraire, on avait : c'est l'« illettrisme », qui, en anglais, se dit d'ailleurs illiteracy. Serions-nous donc demeurés au point de ne plus même concevoir qu'en l'occurrence l'envers puisse avoir un endroit ? Le hic, c'est que « lettrisme » existe déjà, et qu'il n'a pas grand-chose à voir avec ce qui précède : les gens cultivés — il doit en rester même en France, n'en déplaise aux cassandres de l'OCDE — savent que c'est là le nom que l'on a donné à un mouvement littéraire de l'après-guerre, lequel faisait grand cas... de l'onomatopée !
Quant à la « numératie » (un des paramètres, soit dit en passant, qui servent à mesurer la « littératie »), seule la Toile vous apprendra qu'elle est la « capacité de comprendre les chiffres et de s'en servir pour raisonner ».
Un ancien ministre de l'Éducation nationale aurait sans doute beau jeu de nous faire remarquer que, si ces choses-là sont dites aujourd'hui en termes plus galants qu'autrefois, elles ne sont pas si éloignées de ce qu'il appelait de son côté, au risque d'une platitude qui lui fut vertement reprochée, « savoir lire, écrire et compter ». Mais c'est bien la preuve que notre époque est plus prompte à nommer le mal qu'à l'éradiquer. Deux siècles après Musset, nous devrions pourtant savoir qu'à l'heure de la gueule de bois ce n'est plus vraiment le flacon qui importe !