Évasion, mode d'emploi...
linguistique !

< dimanche 21 avril 2013 >
Chronique

La rocambolesque évasion de la prison de Sequedin nous l'eût rappelé s'il en avait été encore besoin : le français n'est pas avare de métaphores dès lors qu'il est question de brûler la politesse aux représentants de l'autorité...

Non que les médias se fussent montrés particulièrement inventifs pour l'occasion : on s'est en général contenté d'évoquer la « cavale » d'un Redoine Faïd qui s'était mis dans la tête de « se faire la belle ». Rien que du classique ! La première, née jument de race, a la cote depuis le roman d'Albertine Sarrazin, quand celle-ci n'aurait fait que remettre en selle une expression déjà en usage au XIXe siècle, plus particulièrement du côté du bagne de Brest. On déguerpit plus vite sur quatre pattes que sur deux, c'est bien connu. Et quelle plus belle image rêver pour parler de quelqu'un que le Grand Journal de Canal + ne nous avait pas présenté en 2010, il s'en faut d'ailleurs de beaucoup, comme un mauvais cheval ? Quant à la « belle » susnommée, il s'agirait à l'origine et en argot d'une « occasion favorable » que, dans ce genre de milieu, l'on saisit presque toujours pour s'échapper. Cela dit, en la matière, la langue ne fuit pas ses responsabilités : elle a même beaucoup d'autres... tournures dans son sac !

Mettons-nous en jambes avec toutes celles qui mobilisent, nul ne s'en étonnera, nos membres inférieurs, qu'il sied en l'occurrence de prendre à notre cou. Impossible de les méconnaître quand on « se fait la paire », quand on « joue des flûtes », « des pinces » ou « des fuseaux », quand on « met les bâtons » ou « les paturons », quand on « fend son équerre » ou « son compas », voire quand on « se carapate » (ce pate-là pourrait bien avoir perdu un « t » en chemin) ou « décanille » — les canilles, à Lyon, ne sont rien d'autre que le diminutif de ces cannes... sur lesquelles il nous arrive de ne plus tenir !

Un cran plus haut sur l'échelle du poétique, on peut aussi, histoire de... « prendre le large », « mettre les voiles » ou « les bouts ». Ces derniers ne seraient-ils pas les « bouts-dehors », grâce auxquels, pour gagner de la vitesse, on élargissait précisément la voilure ? Plus modestement, et pour peu que vous ne goûtiez pas l'eau, il vous sera toujours loisible d'« enfiler la venelle » ou de « happer le taillis ». De « vous esbigner », aussi, ce vieux mot provençal s'étant employé d'abord pour ce qui, oiseau ou maraudeur, s'enfuyait... de la vigne !

Autres solutions : « casser sa ficelle », à l'instar d'un hanneton qui romprait les amarres, ou, au contraire, « accrocher son tender ». Qu'importe en effet le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse ! On en connaît même qui, après s'être souhaité bon vent, sont « partis comme un pet sur une toile cirée ». Vous auriez préféré... échapper à celle-là ? Que direz-vous, alors, de ceux qui « déballonnent » (entendez « s'échappent du ballon »), ou, au XVIIIe siècle, « chiaient du poivre » — allusion, sans doute, à celui qu'ils n'hésitaient pas à lancer pour aveugler leurs poursuivants ? Tout bien pesé, une poudre d'escampette (de l'ancien français escamper, « s'enfuir ») qui en vaut une autre !

Notre locution préférée ? « Jouer la fille de l'air », peut-être, en souvenir d'une opérette de Théodore et Hippolyte Cogniard qui, en 1837, voyait une sylphide s'évaporer sur la scène ! Mais tient également la corde, c'est le cas de le dire, le pittoresque « jouer du violon » : la chose ne revenait-elle pas, imitant en cela le mouvement de l'archet, à promener la lime sur les barreaux de sa geôle ?

Heureuse langue, que ne désertera jamais l'esprit ! Inutile d'y courir, celui-là au moins n'est pas près de filer...