Quel tintouin
autour d'un malheureux pingouin !

< dimanche 24 mars 2013 >
Chronique

Carla Bruni l'a juré la main sur le cœur : le « pingouin qui n'a pas des manières de châtelain » et qu'elle brocarde dans une chanson récente n'a rien à voir avec le successeur de son mari. Si tel avait été le cas, ce dernier ne s'en fût d'ailleurs pas offusqué : « Ç'aurait pu être pis, a-t-il lâché : le pingouin est un animal plutôt gentil... »

Gentil ? Certes, pour un chef d'État aux prises avec le chômage, se voir traiter de... manchot eût été autrement offensant ! Mais ce n'est pas la Sécurité sociale non plus : avec les noms d'oiseaux, la connotation péjorative n'est jamais loin et le malheureux alcidé a bel et bien servi à désigner un imbécile à la fin du XIXe siècle. En outre, et quand il s'agirait probablement là d'une coïncidence, les rares mots en -gouin que comporte notre lexique n'ont pas été, c'est le moins que l'on puisse dire, gâtés par le sort...

C'est l'évidence pour le sagouin, ce petit singe à longue queue originaire du Brésil qui, dès la fin du XVIIe siècle, a été assimilé — François Mauriac s'en souviendra au point de lui consacrer un roman — à un enfant laid et malpropre. Ce l'est presque autant pour le maringouin, cousin — sinon germain, du moins canadien — de notre moustique : celui-là n'a pas même eu besoin du sens figuré pour acquérir la mauvaise réputation qui est la sienne, c'est au sens propre qu'il nous pompe l'air en même temps que le sang... Que dire, enfin, du baragouin, sinon qu'il fleure bon la xénophobie ? Sur le front de l'étymologie, rien que de très chrétien en apparence, puisque, pour beaucoup, le drôle descendrait de bara et de gwin, deux vocables bretons signifiant « pain » et « vin » ! Côté sens, c'est moins reluisant : il s'agit, comme personne ne l'ignore, de parler un langage incompréhensible, ce qui est souvent le lot des étrangers : le mot ne commence-t-il pas par l'onomatopée bar, laquelle rime avec « barbare » ?

Pour peu que l'on approfondisse un tant soit peu la recherche, cependant, c'est sur la quasi-totalité de nos mots en -ouin qu'il conviendrait de... verser une larme ! Le babouin ? Un singe, comme le sagouin, mais aux lèvres proéminentes. Plus qu'à la finale qui nous occupe, il le doit au radical bab qui évoque le babil, le bavardage sans contenu. Il deviendra, à l'armée, cette figure menaçante et ridicule dessinée sur la muraille et que l'on fait baiser à quiconque enfreint la loi établie par le corps de garde. Le bédouin ? À l'origine, rien d'autre qu'un « habitant du désert » ; mais, très vite, et le racisme n'est évidemment pas étranger à cette extension, un « individu brutal et grossier ». L'adjectif chafouin ? Marqué d'emblée au coin de la sournoiserie, fouine oblige ! Le fait qu'on le confonde de plus en plus et à tort, aujourd'hui, avec « chagrin » n'améliorera pas beaucoup son ordinaire. Marsouin ? On y a presque cru, en lisant que ce petit cétacé de l'Atlantique Nord était remarquable par son intelligence. Las ! est-ce parce que son autre nom est « cochon de mer », il a désigné lui aussi, dans un passé heureusement révolu, un « homme laid et contrefait ». Quant au tintouin, bruit obsédant et excessif s'il en est, il n'a rien dans son ADN qui puisse racheter tout ce qui précède.

Au bout du compte, il n'y a guère que le milouin pour sauver l'honneur et échapper à tout cet opprobre. Mais qui le connaît ? Que le commun des mortels s'avise de son existence et vous verrez qu'à son tour ce pauvre canard finira par plonger !