Les chiens aboient,
les coachs font : « Waouh ! »
La plus belle voix, c'est évidemment La Voix du Nord. Mais force est de reconnaître que The Voice, ce n'est pas mal non plus : si l'émission gagne chaque samedi la bataille de l'Audimat en arrivant dans un fauteuil, fût-il pivotant, c'est que les talents y sont légion...
Pour les honorer comme il se doit, nos quatre « coachs » — dont il faut bien saluer ici la compétence, le charisme et l'affabilité — savent trouver le mot juste : les candidats qu'ils sélectionnent (et même, souvent, ceux qu'ils recalent) sont « juste extraordinaires », « juste formidables », « juste fabuleux ». Certains, à en croire Florent Pagny, ont même « juste tout », ce qui, convenons-en, est juste enviable, quand bien même nous ne comprendrions pas toujours ce que ce juste signifie au juste. Mais, pour marquer la surprise et l'admiration du jury, le fin du fin demeure ce que Pierre Merle, dans son Précis de français précieux du XXIe siècle, appelait dès 2002 le « pathétique wow ! d'enthousiasme, directement importé des feuilletons américains achetés à la tonne et au rabais par les chaînes françaises dans les marchés de programmes de télévision ». À ce petit jeu du Waouh ! ou du Ouah ! (mieux valant faire envie que pitié, nos dictionnaires proposent deux graphies), Jenifer l'emporte haut la main, mais Garou et Louis Bertignac sont loin de donner leur part aux chiens...
Mais où sont les exclamations d'antan ? Faut-il que notre langue soit en perte de vitesse pour qu'elle aille ainsi troquer contre des interjections anglo-saxonnes — on pourrait citer d'autres Oups !, d'autres Splash ! qui mériteraient de faire plouf — les vocables bien de chez nous qu'avaient ciselés des siècles d'histoire ! Que sont nos bigre !, nos diantre !, nos fichtre ! devenus ? Pour congratuler des concurrents déjà aux abois, ne feraient-ils pas tout aussi bien l'affaire ?
Et mazette !, où diable est-il passé ? En voilà un qui, sur fond de crise chez Spanghero, serait bien inspiré de s'extirper de la mêlée. N'a-t-il pas désigné, au XVIIe siècle, un mauvais cheval, tout juste bon à finir en lasagne ? On devine aisément ce qui a conduit l'intéressé — probable avatar du dialectal mesette, « mésange » en normand et en franc-comtois — à qualifier péjorativement, comme mauviette après lui, un animal, voire un homme. Ce que l'on conçoit moins, c'est l'opération du Saint-Esprit qui en a fait, deux siècles plus tard, une interjection admirative !
Cela dit, il en est une autre qui, eût-elle beaucoup vieilli elle aussi, serait à l'aise parmi ces rumeurs de chenil : nous pensons à Mâtin !, qui, d'aucuns s'en souviennent peut-être, fit les beaux jours du magazine Pilote dans les années soixante. Son évolution n'est pas moins nébuleuse que la précédente puisque, issu du latin canem mastinum (« chien apprivoisé »), le mot s'est d'abord appliqué à un molosse, employé à la garde du bétail. Quand le toutou s'enhardit jusqu'à arroser les plates-bandes de l'humain, ce ne fut pas précisément une promotion puisque les gaillards qui se virent ainsi désigner brillaient surtout par leur grossièreté physique et morale. Comment, là encore, en vint-on à se servir du même pour exprimer son émerveillement ? Le Dictionnaire historique de la langue française suppose que l'on est passé peu à peu de l'idée de rudesse à celle d'habileté ! Un tête-à-queue sémantique qui, si nous n'y prenions garde, nous arracherait des Waouh ! dignes d'un ancien pensionnaire de la Star Ac'...
Allons, redescendons sur terre : nous n'espérons pas sérieusement que, samedi prochain, nos virtuoses du « buzzer » retrouvent comme par enchantement les accents du terroir. Mais à tous ces aboyeurs il est permis de faire des niches, non ?