Où l'on apprend
que la langue française a du chien !

< dimanche 24 juin 2012 >
Chronique

Ceux qui doutaient encore qu'il fallût se donner un mal de chien pour maîtriser sa langue maternelle ne se bercent plus d'illusions depuis la récente finale des Timbrés de l'orthographe.

C'est que le questionnaire à choix multiple qui, le 16 juin à la Sorbonne, précédait la dictée d'Éric-Emmanuel Schmitt a fait la part belle à celui que certains continuent à considérer, des plus naïvement, comme le meilleur ami de l'homme. De l'homme normal, peut-être. Du finaliste des Timbrés, c'est moins sûr. On demandait d'abord à ce dernier ce que signifiait l'expression « rompre les chiens ». Gageons que ces passionnés de langue française — des mordus, pourtant ! — ne savaient pas tous qu'il s'agissait là de « mettre fin à une conversation qui tourne mal », d'« interrompre un entretien mal engagé » : c'est à la chasse à courre que nous devons cette métaphore — il n'est pas rare, en effet, que l'on y rappelle la meute pour lui faire cesser la poursuite —, domaine dont nos lettrés ont le plus souvent une connaissance purement livresque, à seule fin d'orthographier brocard, dix-cors et hallali. Gageons encore que nombre d'entre eux auront préféré la proposition « mettre fin à un long célibat » : n'est-il pas plausible, après tout, qu'une trop longue abstinence transforme l'amour en rage ?

Mais les niches n'étaient pas terminées et nos infortunés concurrents n'avaient pas plus tôt donné — un comble ! — leur langue au chat qu'ils devaient reprendre le collier : « Parmi les noms chien, chenil, chiot et chenet, leur demanda-t-on dans la foulée, lequel ne fait pas partie de la famille étymologique des trois autres ? »

Il fallait être un cador, vous en conviendrez, pour savoir que le chiot n'avait rien à voir — étymologiquement parlant, s'entend — avec le chien et risquer ce qu'à « Money Drop » on appelle un toutou ou rien ! Ou alors, pour le deviner, être doué d'un fameux flair... L'intéressé, si l'on en croit Alain Rey et son Dictionnaire historique de la langue française, ne descend pas en effet du latin canis, mais, par l'entremise de l'ancien français chael, de catellus, lequel désignait à l'origine le petit d'un animal... qui n'était pas nécessairement le chien. On comprend que, faute de grives, des concurrents aux abois se soient rabattus sur les merles du chenet, dont on voyait mal, de prime abord, les relations qu'il pouvait entretenir avec la chiennaille qui précédait. Las ! ceux qui se sont laissé prendre à ce rideau de fumée ont ramassé une bûche : chenet dérive bien, lui, de canis, pour la bonne et simple raison que cette pièce métallique représentait la plupart du temps, jadis, un petit chien accroupi !

La morale de cette histoire : il faut toujours se méfier de ce qui semble arriver comme dans un jeu de quilles. L'expérience prouve que c'est souvent un chien !

Cela dit, que ceux qui auraient pris la pâtée se consolent : tous les chiens n'ont pas été lâchés lors de cette deuxième édition des Timbrés, et il y a gros à parier qu'on en croisera d'autres dans les finales à venir. C'est que cet animal-là est partout : il se cache aussi bien derrière la chenille que derrière le requin, la canicule ne lui est pas plus étrangère que le cynisme du docteur House ! Sans compter que, dans la dictée, peuvent à tout moment se reproduire schipperkes, skye-terriers, grœnendaels et autres représentants d'une gent canine contre laquelle on aurait vite fait de se découvrir une dent ! Il est vrai que, contre toutes ces menaces, il est loisible à chacun de se prémunir : les dictionnaires ne sont pas faits pour les chiens ! Ou plutôt si. Enfin, nous nous comprenons.

Mais brisons là. À trop vouloir aider les candidats à déjouer les pièges futurs, nous risquerions d'irriter les organisateurs, lesquels nous garderaient alors... un chien de leur chienne !