Délinquance en hausse :
« Ô temps, suspends tes vols ! »

< dimanche 22 janvier 2012 >
Chronique

Notre journal y consacrait sa une ce mercredi : le nombre des cambriolages va croissant, en particulier dans le département du Pas-de-Calais. Il faut ajouter à ce triste constat que la langue, pour peu qu'elle l'ait fait un jour, ne rachète plus rien : sur ce terrain comme sur beaucoup d'autres, elle a manifestement perdu de sa poésie...

Si la chose, en effet, n'a jamais fait plaisir à personne, les mots, hier, avaient à tout le moins du charme. Quand on ne s'en aviserait plus guère, l'habitude ayant fait son œuvre, celui qui semble la désigner de la façon la plus plate, à savoir vol, est lui-même enfant de la métaphore. Beaucoup s'étonneront sans doute d'apprendre qu'à l'origine il ne se distinguait pas du vol de l'oiseau : c'est parce que le faucon avait coutume de fondre sur sa proie et d'« attraper au vol » la perdrix que le verbe voler, chasse gardée de la gent ailée pendant des siècles, a pris le sens de « s'emparer de quelque chose à l'insu de son possesseur, dépouiller quelqu'un de son bien ». D'ailleurs, n'en conserve-t-on pas le souvenir dans l'expression « escroc de haut vol » ?

Dans le mot cambriolage, cité plus haut, et son ancêtre argotique cambriole, il y a aussi un je-ne-sais-quoi qui chante ! Peut-être le doit-on aux racines provençales de ce dernier — cambro, en occitan, voulait dire « chambre » —, ou encore à son suffixe -iole, qui évoque, pêle-mêle, mariole et gaudriole ! Il n'est pas impossible non plus que le « gentleman cambrioleur » que popularisa Maurice Leblanc à l'aube du siècle dernier ait contribué à lui donner quelques lettres de noblesse qu'il ne méritait pas toujours...

Que dire, alors, de l'onomatopéique fric-frac, sur l'étymologie duquel on se perd en conjectures ? Faut-il voir là, comme le présume le Dictionnaire historique de la langue française d'Alain Rey, l'influence d'une expression du XVIIe siècle, « ce qui vient de fric s'en va de frac », qui signifiait « ce qui est mal acquis se dissipe aisément » ? Supposer de surcroît l'attraction de notre fracture, ô combien tentante pour figurer un vol... avec effraction ? Toujours est-il que le mot, comme les précédents, parlait à l'imagination.

Il faudrait encore faire un sort à la maraude et au maraudage, qui fleuraient bon la pomme chapardée et le péché somme toute véniel. Le vagabondage aussi, les maraults étant au XVe siècle des artisans qui travaillaient le bois et vendaient des coffrets, menant du même coup une vie errante qui ne pouvait être que suspecte aux yeux des bien-pensants. Une autre piste, non moins pittoresque, mène au marou, censé imiter, jadis, le... miaulement des chats en rut. Il est vrai que ces derniers ne sont pas réputés mener une vie plus sédentaire !

Qui ne verrait, dès lors, que les mots plus récents font pâle figure en regard de ceux que nous venons de passer en revue ? Chacun concédera qu'en termes de poésie notre casse — lequel date tout de même, et quoi qu'on en pense, de la fin du XIXe siècle — ne... casse rien. Ne parlons pas davantage du peu élégant braquage, plus jeune de quelque cinquante ans, et dont la seule excuse semble bien être de tailler des croupières à l'anglicisme hold-up, lui-même ringardisé par les tout frais home-jacking et car-jacking. Mais qui pourra croire un instant, un seul, à l'existence de « gentlemen casseurs » ou de « gentlemen braqueurs » ?

Arsène Lupin, décidément, est mort et enterré. Et, pour avoir laissé la langue se dépouiller du peu dont elle usait pour nous rendre la vie plus supportable, force est de reconnaître qu'on ne l'a pas... volé !