La langue française ?
Un festival de canettes !

< dimanche 6 novembre 2011 >
Chronique

Un clin d'œil à Cannes, où s'est déroulé cette semaine le plus tendu des G20 ; un autre à l'écrivain Jacques Messiant, lequel — dans le sillage de l'historienne Delphine Levisse, trop tôt disparue — vient de signer, aux éditions La Voix du Nord, un pétillant ouvrage sur la bière, des origines à nos jours... (*) On ne reprochera pas à cette chronique de se couper de l'actualité !

Et que l'on ne vienne pas, pour la circonstance, nous accuser de brasser moins de bière que de vent, à seule fin de faire mousser un produit maison : étymologiquement parlant, le mot canette qui orne le titre est sans contredit l'un des plus déroutants de notre lexique. Quand il y fait son apparition, vers le milieu du XIIIe siècle, il n'a d'ailleurs pas grand-chose à voir avec la boisson évoquée ci-dessus et inciterait à tisser plutôt qu'à... uriner : canete, qui se muerait rapidement — il y faudra un siècle et demi quand même — en cannette, renvoyait en effet à la petite bobine sur laquelle s'enroulait le fil de trame, dans la navette d'un métier. Celle-ci devait son nom à une sœur italienne, cannetta, qui avait été tenue sur les fonts du côté de Gênes, capitale des fils d'or et d'argent qui servaient, à l'époque, à l'ornementation des habits.

Riche serviette à ne pas mélanger, on l'aura compris, avec ce torchon autrement vulgaire qu'était la canette, née peu après, et dans tous les sens du terme, de la cane. Inutile de préciser que redoubler le « n » relèverait ici du couac : autant vous en garder si vous ne voulez pas qu'on vous vole dans les plumes !

Mais alors, nous diront ceux qui, pour n'avoir pas perdu le fil génois, n'en sont pas moins prêts, dans leur impatience, à jeter un pavé dans la mare aux canards : notre canette à nous ? Eh bien, il faudra patienter jusqu'au XVIIIe siècle pour lui voir prendre la forme de cette petite bouteille mince et oblongue contenant bière ou jus de fruits. Depuis longtemps le mot canne (du latin canna, « roseau ») avait, entre autres choses, servi à désigner divers récipients, notamment une cruche de forme allongée : le diminutif s'appliquerait bientôt, sous Napoléon III, à la petite bouteille de bière que bouchait un cône de porcelaine maintenu par un ressort.

Las ! il était écrit que ce ne serait pas là le dernier avatar de la canette. L'anglais, qui nomme can tout ce qui ressemble à une boîte de conserve — les voies de l'étymologie ont beau être impénétrables, elles se rejoignent souvent —, devait, c'était fatal, avoir son mot à dire. Nos cousins du Québec furent, c'est bien normal, les premiers à subir cette influence et à appeler canette toute boîte métallique contenant une boisson. Force est de reconnaître que nous les avons largement imités depuis lors, même si, pour lutter contre ce qui est perçu comme un anglicisme, on s'est récemment essayé à promouvoir, dans ce sens, la « boîte-boisson ». Intention des plus louables, sans doute, mais qui en aura fait se... bidonner plus d'un. Il faut avouer que plus poétique que ça, tu meurs !

Consolation de taille pour les usagers de notre canette : si, au cours des âges, celle-ci a changé de sens comme de chemise — nous vous avons du reste fait grâce de certains, par trop techniques, notamment de ce « rouleau de papier couvert de poudre séchée dont on use pour mettre le feu dans le trou des roches »—, sur le plan orthographique, nul risque de trinquer ! Chez Robert, le « n » est unique, quelle que soit l'acception ; chez Larousse, excepté pour le palmipède cité plus haut, les deux graphies, canette et cannette, sont recevables. Ça s'arrose, non ? Mais avec modération, il va sans dire : comme le rappelle l'avisé Jacques Messiant, « la pinte de trop gâche le plaisir ! »

 

(*) La Bière des origines à nos jours, par Delphine Levisse et Jacques Messiant (coll. Secrets du Nord, éd. La Voix du Nord) ; 66 p., 24x17 cm ; 6,90 €.