En français, le choix du mode
ne va pas toujours... de « soit » !
La récente affaire DSK aura amené chacun de nous à relire la loi Guigou, laquelle interdit « la diffusion (...) de l'image d'une personne identifiée ou identifiable mise en cause à l'occasion d'une procédure pénale mais n'ayant pas fait l'objet d'un jugement de condamnation et faisant apparaître soit que cette personne porte des menottes ou entraves, soit qu'elle est placée en détention provisoire ».
Laissons aux juristes le soin de déterminer si, en l'espèce, cette mise en garde a été négligée par certains médias français pour poser une question dont la futilité, vu les circonstances, ne nous échappe pas : la loi grammaticale a-t-elle, pour sa part, été bafouée par ces indicatifs — c'est une évidence pour le second verbe, est placée — qui succèdent à soit que ? Les grammairiens, en effet, semblent formels : « Soit que veut au subjonctif le verbe qui suit », prône Thomas ; « Soit que est toujours suivi du subjonctif », confirme Girodet ; « Soit que... soit que : subjonctif dans les deux propositions ! », renchérit Bénac. Alors quoi ? Ceux qui font la loi jouiraient-ils d'une quelconque immunité sur le terrain linguistique ?
Que nenni ! Seulement, il en va du code grammatical comme des autres : il demande à être interprété. Joseph Hanse, moins expéditif que ses homologues sur ce point, précise bien que la règle en question ne vaut que pour les propositions qui ne dépendent pas d'un verbe. Dans le cas contraire, c'est ce dernier qui régit le mode après soit que ! Qu'il se fût agi d'un verbe de volonté (« Je veux soit qu'il dise la vérité, soit qu'il se taise ») ou de sentiment (« Je crains soit qu'il ne pleuve, soit qu'il ne fasse trop chaud »), et l'on aurait usé du subjonctif, mode de l'action non réalisée. Mais la locution verbale faire apparaître qu'utilise le texte officiel est de celles qui sous-tendent des faits avérés : l'indicatif, partant, était à sa place, et l'honneur du législateur est sauf !
Grevisse, qui ne perd jamais une occasion de rappeler combien notre langue est subtile, va plus loin en nous laissant entendre que l'obligation de recourir au subjonctif peut être mise en veilleuse quand bien même la proposition introduite par soit que ne dépendrait pas d'un verbe. Et d'en donner deux exemples qu'il emprunte aux meilleures plumes : « Soit qu'elles possédaient ces qualités, ou qu'elles feignissent de les avoir », écrit Balzac dans sa Maison du chat-qui-pelote ; « Soit que ce pistolet fût de fabrication inférieure, soit que les munitions dont il était chargé appartenaient au genre camelote », lui fait écho Alphonse Allais dans Allais...grement ! Mais qui ne verrait, dans le second exemple surtout, que les deux explications ne sont pas également crédibles dans l'esprit de l'auteur, qui trouve là, sans qu'il lui fût besoin de mettre les points sur les « i », le moyen de suggérer à laquelle vont ses préférences ?
Et l'on irait prétendre que notre langue est mal faite ? Qui s'y risquerait ne pourrait longtemps dissimuler l'embarrassante vérité : soit qu'il... n'eût rien compris à ce qui précède, soit qu'il... fît preuve de mauvaise foi ! Et nous mettons le subjonctif des deux côtés, tant, en l'occurrence, il nous est difficile de démêler le possible du probable...