Un « nouveau et fabuleux exploit »
ou un « nouvel et fabuleux exploit » ?
La question se sera posée plus d'une fois dans les rédactions de France et de Navarre, à propos de la possible et énième consécration de nos « Experts » du handball : des adjectifs tels que beau, fou, mou, nouveau, vieux doivent-ils, devant une voyelle, se muer systématiquement en bel, fol, mol, nouvel, et vieil ?
D'aucuns n'en doutent pas et se retranchent, pour justifier leur position, derrière la nécessité d'éviter ce que l'on appelle un hiatus, à savoir la succession, toujours désagréable à l'oreille, de deux voyelles. Si tel était le cas, pourtant, il faudrait dire des multiples images de désolation que nous proposent régulièrement nos journaux télévisés à l'heure des repas que ce n'est pas « bel à voir »... ce qui ne viendrait à l'esprit de personne ! De même, qui aura l'idée saugrenue de trouver « fol à lier » celui qui aurait misé un seul kopeck sur les chances de nos footballeurs au dernier Mondial ?
Certes, bel a... bel et bien pris le pas sur beau dans une ou deux expressions figées comme « tout cela est bel et bon », mais il s'agit là de l'arbre qui cache la forêt. En réalité, ce n'est pas l'initiale de la conjonction de coordination « et » qui décide de la forme de l'adjectif, c'est celle du nom qui suit ! Si, dans notre titre, la seconde solution est considérée comme la meilleure, c'est tout simplement parce que le nom exploit commence par une voyelle. En revanche, on écrira fort bien qu'une victoire de nos handballeurs au championnat du monde serait un « nouveau et fabuleux succès », ce qui prouve assez que le « et » n'a en rien voix au chapitre !
En veut-on une autre preuve ? Quand l'adjectif suit le nom au lieu de le précéder, il garde obligatoirement sa forme première. On peut parler de Brice Hortefeux comme d'un « vieil et fidèle ami » du président de la République, mais on dira de quelqu'un qui vient de faire piquer son chien qu'il a été contraint de se séparer d'un « ami vieux et malade ».
Comme l'explique Grevisse à propos du « nouvel et fâcheux événement » que prône l'Académie dans son Dictionnaire, tout se passe comme si la forme choisie résultait d'une anticipation : puisque l'on parlerait, sans la moindre hésitation, d'un « nouvel événement » si le nom succédait directement à l'adjectif, on fait mine d'oublier qu'il en est ici éloigné par un autre adjectif, lequel se trouve mis, en quelque sorte, entre parenthèses.
La situation se complique encore quand le nom qualifié a pour initiale un « h ». Certains prétendront à juste titre — sur le plan grammatical, du moins — que Nicolas Sarkozy est un « bel et noble héritier du gaullisme » alors que d'autres affirmeront, de façon tout aussi orthodoxe, que la montée des extrêmes risque de constituer un « nouveau et grave handicap » pour les partis de gouvernement. C'est que le « h » de héritier est muet quand celui de handicap est (en principe) aspiré !
Au demeurant, il sied ici de rassurer le lecteur. Pour peu qu'il se trompe, de grands noms de la littérature l'auront fait avant lui : De Jean-Paul Sartre, qui évoquait sans barguigner un « nouvel et dernier faux-semblant », à Bernard-Henri Lévy, lequel ne craignait pas davantage de sombrer dans « un bel et bon sommeil »...
On en viendrait presque à comprendre pourquoi les premières tentatives de simplification de l'orthographe française remontent au règne d'un certain Philippe... le Bel !