Quand notre président
s'emmêle les crayons (d'ocre)...

< dimanche 26 septembre 2010 >
Chronique

Corne d'aurochs ! les gens sont méchants avec Nicolas Sarkozy. Il suffit que l'infortuné, fier comme une grotte, emmène ses proches dans celle de Lascaux — la vraie, pas la réplique destinée au touriste de base — pour qu'aussitôt les mauvaises langues se déchaînent.

Certes, il y a gros à parier que le président de la République s'en soucie comme d'une guigne : « Les chiens aboient, la caravane passe », prétend un proverbe arabe (et non pas rom). Il n'empêche. Comment ne pas s'agacer, par exemple, de ces cris d'orfraie qui stigmatisent son refus de se couvrir le chef, fût-il d'État ? À défaut de charlotte, ne s'est-il pas déjà coiffé d'une Carla ? Ne porte-t-il pas suffisamment le chapeau dans l'affaire Bettencourt ? Comment ne pas s'indigner, surtout, de ces gorges chaudes que l'on a cru bon de faire de cette malheureuse confusion entre homme de Neandertal et homme de Cro-Magnon ? Il n'allait pourtant pas rentrer sous terre, il venait d'en sortir ! Quand son prédécesseur — l'homme de la Kro tout court — confondait coupe de France et coupe du monde sur le perron de l'Élysée, tout le monde trouvait ça sympa, on en redemandait. Tout juste si, à lui, on ne suggère pas de présenter des excuses publiques à Angela Merkel, pour détournement d'héritage !

Plutôt que de critiquer, ne faudrait-il pas interpréter ce lapsus, forcément révélateur, comme le signe d'un rejet bien compréhensible ? Quand on est entouré, chaque jour que Dieu fait, de collaborateurs pour qui l'ambition ultime est de devenir — ou de rester, dans le cas de François Fillon — l'homme de... Matignon, et qui n'hésitent pas à montrer leurs crocs pour ça, allez vous étonner que, plus ou moins consciemment, l'on veuille changer d'ère !

Réjouissons-nous plutôt de ce faux pas présidentiel, lequel nous donne l'occasion de préciser deux graphies souvent malmenées. Cro-Magnon, d'abord, s'écrit bien en deux mots, et le trait d'union est de rigueur : du temps où il jouait les instits, Bernard Pivot n'avait pas résisté au plaisir de tendre ce piège, espérant profiter, chez ses élèves d'un jour, d'un trou qui n'aurait rien à voir avec celui que désignait ce toponyme (c'est en effet le sens de Cro en langue d'oc, Magnon étant selon toute vraisemblance le nom déformé d'un ermite censé avoir séjourné dans le trou en question). Quant à Neandertal, il ne prend ni accent (au contraire de l'adjectif néandertalien) ni « h » (à l'inverse de la dénomination scientifique homo neanderthalensis). Non que ce dernier n'ait jamais existé, ni qu'il ne conserve de chauds partisans. Seulement, c'est une réforme de l'orthographe allemande — en l'occurrence, celle de 1904 — qui en a eu raison, le mot Thal, « vallée  » ayant été, à cette occasion, simplifié en Tal. Nul n'ignore que l'hominien tire son nom de la vallée de Neander, « du nouvel homme », réfection à la sauce hellénistique (neos + anêr, andros) de Neumann, du patronyme d'un prédicateur et poète qui chanta la beauté de la région dans ses écrits.

C'est égal : Nicolas Sarkozy devra mettre une sourdine à sa passion pour la paléontologie s'il ne veut pas être présenté par son adversaire de 2012, tel Mitterrand par Giscard autrefois, comme l'homme du (lointain) passé. Pour peu que ledit adversaire ne s'embarrasse pas de bravitude excessive...