L'enfer, c'est les hôtes !

< dimanche 29 août 2010 >
Chronique

En vacances ? Allons donc ! L'esprit de nos lecteurs n'est jamais au repos. L'un d'entre eux ne nous demandait-il pas, il y a quelque huit jours, s'il convenait d'écrire « des chambres d'hôte » ou « des chambres d'hôtes » ? Et d'assortir cette première colle d'une question subsidiaire qui vaut bien la principale : l'hôte dont il s'agit renvoie-t-il, en l'espèce, à l'accueillant ou à l'accueilli ?

Questions aussi pertinentes qu'embarrassantes. C'est que notre langue, si souvent portée au pinacle pour sa clarté et sa précision, n'a là rien fait afin de justifier sa réputation. Si pour le beau sexe toute ambiguïté est impossible, l'hôte — nom des deux genres chez Robert, mais resté curieusement masculin, dans cette acception, chez Larousse — ne pouvant être confondue avec l'hôtesse, pour la gent mâle c'est le même mot qui s'applique à celui qui offre l'hospitalité et à celui qui la reçoit. La faute, soit dit en passant, au latin hospes, qui avait déjà ces deux valeurs.

Fort heureusement, il arrive que nos lexicographes se mouillent. Non que la définition proposée par Robert de la chambre d'hôte nous fasse d'emblée grimper aux rideaux : sa chambre « louée par un particulier » serait même de nature à accroître notre perplexité, le flou artistique qui entoure le verbe louer en français — donner ou prendre en location ? — n'ayant hélas rien à envier à celui dont se nimbe notre hôte. Du moins cette chambre d'hôte se trouve-t-elle clairement située dans le périmètre consacré à la « personne qui reçoit l'hospitalité »... quand la table d'hôte, que dans notre indécrottable naïveté nous aurions volontiers enrôlée sous la même bannière, est dressée pour sa part à l'étage du dessus, réservé, lui, à la « personne qui donne l'hospitalité ».

Incohérence ? Hasards insondables de l'étymologie plus sûrement, puisque l'on s'avise bientôt que l'allemand réalise le même grand écart : la chambre d'hôte s'y dit Gästezimmer, la table d'hôte Wirtstafel. Or Gast, dans la langue de Goethe, désigne l'invité, Wirt l'aubergiste ! C'est qu'un hôte peut toujours en cacher un autre...

Reste à trancher la question, non moins épineuse, du pluriel. Que, sur la Toile, les « chambres d'hôtes » battent à plate couture leurs rivales ne suffira pas à nous convaincre. D'abord parce que ladite Toile est, dans le domaine linguistique, presque aussi fiable qu'un catalogue de promesses électorales. Ensuite parce que, de notoriété publique, la question du nombre du complément compte parmi les plus subjectives de notre grammaire : met-on l'accent sur la généralité, l'uniformité de l'ensemble ou considère-t-on bien plutôt la quantité, la variété du détail ?

Ceux qui prônent le « s » à hôte vous diront qu'un singulier ferait bien mesquin eu égard aux nombreuses personnes concernées par ce nouveau type d'hébergement. Mais à tant faire que de retenir ce critère quantitatif, on aura beau jeu de s'étonner que ce « s » n'apparaisse pas alors dès le singulier : après tout, qu'une chambre accueille deux personnes voire plus est dans l'ordre des choses, ce qui n'empêche nullement Robert d'écrire « chambre d'hôte » à côté de... « chambre d'amis » !

D'hôte ou d'hôtes, avouons humblement que nous ne saurions dire, encore moins imposer. Ce qui est sûr, c'est qu'il ne faudra pas dix questions comme celle-là pour que nous nous retrouvions dans l'obligation de... garder la chambre !