C'était trop bien, les vacances !

< dimanche 31 août 2008 >
Chronique

Que le lecteur se rassure, le titulaire de la présente rubrique n'a pas pris un coup de soleil sur la tête durant ses congés — comment diable, d'ailleurs, s'y serait-il pris ? Il ne s'est pas davantage converti au parler « djeun ». Tout au plus entend-il souligner, par ce titre un brin iconoclaste, la confusion qui règne, au sein de notre langage, entre très et trop.

Écoutons, sur RTL, cet expert qui s'efforce de répondre aux questions angoissées des auditeurs après la chute de quelque huit mille mètres subie cette semaine par un appareil de la compagnie Ryanair. Ce phénomène de dépressurisation, affirme-t-il, est « excessivement rare ». Voilà qui contribuera sans doute à rassurer les Français moyens parmi lesquels, hélas, les habitués de cette chronique ne comptent pas. Ils savent bien, ces infortunés, qu'excessivement, en toute logique, veut dire « trop » et ils en viennent alors à se demander si, histoire de mettre un peu de piment dans des voyages aériens qui en manqueraient singulièrement, les compagnies ne s'évertueront pas bientôt à donner un coup de pouce au destin... chaque fois que celui-ci n'aura pas eu le bon goût de se débrouiller seul !

Nous plaisantons un tantinet, c'est entendu. Mais notre sourire a tôt fait de s'éteindre quand nous constatons, le Petit Larousse à peine interrogé par acquit de conscience, que cette acception (« extrêmement, tout à fait ») y est désormais accueillie à paragraphes ouverts. Avec les mêmes égards (en seconde position, certes, mais pour combien de temps encore ?) que celle de toujours, autrement conforme au bon sens et à l'étymologie (« avec excès »). Et, qui plus est, sans la moindre précaution oratoire. Pas le plus petit contesté, critiqué ou relâché à l'horizon de la page ! Nos estimés dictionnaires ne nourriraient-ils plus d'autre ambition que de devenir des chambres d'enregistrement ? De se laisser emporter au gré des vents dominants ? Nous pensions quant à nous, un peu naïvement sans doute, qu'un dictionnaire n'était pas fait pour répéter ce qui se dit (il suffit de tendre l'oreille pour être au parfum) mais pour indiquer ce qui doit — et ne doit pas — se dire...

Pour ne pas manquer à l'honnêteté, reconnaissons que la confusion dénoncée ci-dessus ne date pas d'hier. Et qu'elle n'a pas attendu que nos jeunes se dopent aux superlatifs pour s'impatroniser dans nos habitudes langagières. Elle sévissait déjà à la fin du dix-huitième siècle et le linguiste Ferdinand Brunot, qui la défendait — c'est son droit —, avait beau jeu de remarquer, dans La Pensée et la Langue : « Excessivement est à chaque page dans Balzac avec le sens de très. (...) De même chez Flaubert, de même partout. » Dont acte, quand bien même l'argument nous paraîtrait s'abreuver à ces principes de tradition et d'autorité qui révoltaient un Fontenelle. Ainsi, parce que la faute est commise depuis plus de deux siècles, parce qu'elle a été consacrée par de grands noms de la littérature, il faudrait que l'on en fût absous ? Plaisante grammaire que celle qui sacrifie la clarté à la coutume ! Nous préférons de beaucoup laisser le dernier mot à Joseph Hanse, pourtant peu suspect de passéisme : « Chacun perçoit ou peut percevoir dans cet adverbe le mot excès. Il est donc légitime de lui conserver le sens de trop, bien que, au risque souvent d'une équivoque, on lui donne depuis longtemps le sens de très, extrêmement. La langue ne peut que perdre à cette confusion. » Ça tombe bien, on allait le dire !