Le français gagné à son tour
par la manie de la repentance !

< dimanche 29 juin 2008 >
Chronique

Il ne fait pas bon porter les couleurs du français par les temps qui courent. Académiciens et sénateurs, qui s'opposent à ce qu'il soit fait mention des langues régionales dès l'article premier de la Constitution, c'est-à-dire avant même que ne soit évoquée « la langue de la République », viennent de l'apprendre à leurs dépens.

Pour les immortels, ce fut bien sûr une volée de bois vert : « Fatras nauséabond de coupole, d'épées et d'uniformes militaires », « organisation impotente » peuplée de « désœuvrés », de « vieillards réactionnaires » armés de « sonotones », de « gâteux » et même de « grabataires ». Bonjour, la litote ! Quant à « l'engeance » du palais du Luxembourg, elle n'est pas davantage épargnée, puisque ceux qui composent cette « assemblée de gérontes » se voient traiter de « pseudo-sages », de « jacobins », voire d'« inutiles qui se cooptent et qui coûtent cher à la République ». Le tout, courageusement, à l'abri de pseudonymes. Si ces forums n'existaient pas, il faudrait les inventer : ils donnent une bien belle image du débat. Car n'allez pas croire que ce flot d'amabilités soit l'apanage d'un camp : nous avons glané sur l'autre rive, en guise de représailles sans doute, notre lot d'« activistes linguistiques », d'« excités patoisants » et d'« incultes malcomprenants ». Il est heureux que nous soyons ici entre gens éduqués, qui n'ont que le mot culture à la bouche : que serait-ce, sinon ?

Le français lui-même ne sort pas indemne de l'aventure. On lui fait bien sentir, pour qu'il ravale enfin son « arrogance », qu'il est à son tour devenu, à l'heure de la mondialisation, une « langue régionale ». On le renvoie sans ménagement à son peu glorieux statut, celui d'un « patois qui a réussi ». Surtout, on lui ressasse ses « crimes passés » sur fond, n'ayons pas peur des mots, d'« ethnocide » et de « génocide culturel ». La repentance est tellement tendance ! Le bicentenaire de la victoire d'Austerlitz est bien passé à la trappe, on ne voit pas pourquoi une langue aussi impérialiste que la nôtre devrait y échapper...

Gardons-nous de donner dans le mépris ambiant. Avouons même, pour gage de bonne volonté, que le français s'est mis tout seul dans de sales draps : comment, afin de contenir les assauts de l'anglais, se faire le héraut de la diversité linguistique dans un monde que l'on dit guetté par l'uniformité quand on se révèle incapable de prêcher d'exemple à l'intérieur de ses propres frontières ? Mais on peut aussi comprendre que d'aucuns se fassent scrupule d'ouvrir cette boîte de Pandore que représenterait, à l'instar de ce que réclame la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, le droit pour chacun d'user de son idiome dans le domaine administratif ! On ne voit que trop ce que ce « communautarisme » linguistique entraîne dans certains pays voisins, telle l'Espagne. On comprend plus encore que l'émiettement qui en résulterait séduise certains séparatistes dans lesquels sont loin de se reconnaître, disons-le haut et fort, tous les tenants des langues régionales. Au demeurant, bien des causes sont respectables et l'on est en droit de préférer le chti ou le flamand à la langue qui a produit Racine, Voltaire et Proust. L'hypocrisie naît quand on nie les dangers qui menacent un français « coincé » entre langue véhiculaire et parlers du terroir. Ledit français est une création artificielle, sans ancrage réel ni profond, une « langue de loi », comme l'écrivait si bien Claude Duneton dans La Mort du français (Plon). Que la loi vienne à l'abandonner, dans le sillage de députés volontiers clientélistes en la matière, et il périra sans coup férir. Mais si c'est ce que l'on veut, pourquoi pas ?