Bientôt à Belgrade :
le Concours Anglovision de la chanson ?
En matière de démission linguistique et d’anglomanie galopante, nous pensions, depuis que cette rubrique nous a été confiée, en juin 1995, avoir à peu près tout vu, tout entendu, tout subi...
Vu, notamment, un Premier ministre en visite officielle à Shanghai conseiller à de jeunes Chinois désireux d’apprendre le français (la flamme n’était pas encore passée !) d’apprendre plutôt la langue anglaise, celle-ci étant appelée à devenir, ce Premier ministre de la France dixit, « la seule et unique langue de communication universelle ».
Entendu un ministre de l’Éducation nationale, grand dépeceur de mammouths devant l’Éternel, réclamer de ses chères têtes blondes qu’elles « cessent de considérer l’anglais comme une langue étrangère ».
Surpris un ministre de la Défense en flagrant délit d’organisation, à l’École militaire — sur le territoire national donc, et aux frais du contribuable français —, d’un colloque « en anglais exclusivement ».
Écouté la maison Hachette expliquer sans rire que, si elle avait cru devoir troquer ses traditionnelles enseignes Relais H contre ce pathétique Relay qui éclabousse aujourd’hui nos gares et nos aéroports, c’était pour revenir à la pureté originelle du mot français.
Assisté, sous l’égide d’un metteur en scène parisien qui, dans ce domaine, n’a rien d’un grand bleu, au tournage en anglais de Jeanne d’Arc, dont l’héroïne pourrait à bon droit se demander à quoi a servi, jadis, de bouter l’envahisseur hors de France.
Prélevé sur les rayonnages de la collection Que sais-je ?, fleuron incontesté de notre patrimoine intellectuel, un numéro consacré à la finance et rédigé d’emblée dans la langue de Shakespeare, sous prétexte que l’anglais, « qu’on le veuille ou non », est la langue des affaires.
Subi dans le même idiome l’allocution d’un ex-patron des patrons de l’Hexagone devant le Conseil européen, alors même que le français y est toujours — sur le papier, du moins — « langue de travail ». On se souvient que l’incident avait poussé Jacques Chirac à quitter ostensiblement la salle, de ce pas décidé qui le précipitait encore, une fois par an, au-devant du séant des bêtes à cornes.
Combien nous avons eu tort, à chacune de ces occasions, de considérer que nous touchions le fond ! La preuve que l’on pouvait encore creuser vient de nous être administrée par France 3 : la chanson française sera cette année représentée au concours de l’Eurovision par un Sébastien Tellier qui a, en conscience, choisi d’interpréter son titre... en anglais ! C’est qu’en français, plaide l’artiste, la chanson aurait moins d’impact. Le risque, en effet, c’est qu’elle soit alors comprise...
« Mauvais signe adressé à la communauté francophone », tempête en tout cas le député François-Michel Gonnot : la promotion de notre langue ne figurerait-elle plus au cahier des charges d’une chaîne publique ? Mais, rétorque-t-on dans l’entourage du musicien, vingt-cinq des quelque quarante nations en compétition chantent en anglais : vous ne voudriez pas, Ionesco merci, que nous fussions les derniers à nous muer en rhinocéros ? Quant à Stéphane Elfassi, « directeur du label de Sébastien Tellier RecordMakers » (tout un programme, déjà !), il juge dépassé cet attachement au pluralisme des cultures : « C’est un débat qui sent le moisi », a-t-il tranché. Seul l’argent, effectivement, n’a pas d’odeur.