Le cerf-volant :
une étymologie qui tient à plus d'un fil !

< dimanche 13 avril 2008 >
Chronique

Les XXIIe Rencontres internationales de cerfs-volants s'achèvent ce soir, à Berck-sur-Mer. L'occasion ou jamais de faire le point sur l'étymologie, pour le moins contestée, d'un mot des plus énigmatiques au premier abord : c'est qu'un cerf, jusqu'à preuve du contraire, ça ne vole pas, sabre de bois !

A longtemps tenu la corde, si l'on ose dire dans un tel contexte, la version selon laquelle le cerf-volant de nos plages devrait tout à l'insecte du même nom, que l'on nomme encore lucane. Vous savez, cette imposante bestiole — jusqu'à huit centimètres de long, au dire de ceux qui ont eu le courage de s'approcher pour mesurer — que la nature a pourvue, pour ce qui est du mâle en tout cas, d'énormes mandibules ressemblant... aux bois d'un cerf ! À en croire Bernard C. Galey dans son Étymo-jolie (Tallandier), c'est le vol plutôt maladroit de ce coléoptère — légèrement incliné de surcroît — qui expliquerait que l'on eût ainsi baptisé l'actuel chouchou de la Côte d'Opale. À l'appui de cette thèse, longtemps dans l'air... du temps, et que défendit dès 1829, dans son Dictionnaire étymologique de la langue française, le très sérieux Jean-Baptiste Bonaventure de Roquefort-Flaméricourt, le fait que, dans notre lexique, celui-ci (1669) ait suivi de peu celui-là (1611). L'habitude, aussi, un tantinet sadique mais encore bien vivace chez les gamins du siècle dernier aux dépens de l'infortuné hanneton, de faire voltiger de gros insectes au bout d'une ficelle : il ne serait guère étonnant que la bestiole évoquée plus haut, le plus volumineux des insectes vivant en France, eût par le passé fait les frais de cette peu reluisante pratique. Preuve supplémentaire que cette interprétation a longtemps prévalu : ceux qu'aujourd'hui l'on nomme couramment cervolistes ou, mieux, cerfs-volistes se sont aussi appelés, dans un registre autrement savant, certes, lucanistes ou lucanophiles !

« Du vent ! » objecteront ceux qui se réclament d'une interprétation toute différente, proposée celle-là par le Dictionnaire de l'Académie : si bébête qui monte il y a bien, il s'agirait en réalité d'un autre animal, en l'occurrence du serpent, traduit par sèr ou serp dans plus d'une langue méridionale, et dont le cerf susdit ne serait qu'une déformation imputable, à l'époque, à la transcription « en bon françois ».

Il est vrai que les ciels de la Bible sont aussi riches de serpents et de dragons que de nuages ! Quant aux premiers cerfs-volants apparus en Europe, ils ressemblaient beaucoup aux serpents en question, eu égard à leur longue queue ondulant dans le ciel. Il convient en outre de se rappeler que la vocation première de ces monstres de papier fut d'effrayer l'ennemi ! Viennent enfin étayer cette version les divers noms qu'a pris notre cerf-volant dans les langues voisines, lesquels, à l'instar du Drachen allemand, évoquent bien plus souvent le dragon que le cerf...

Alors, cervidé ou reptile ? Gageons que le différend n'est pas près d'être tranché ! Au demeurant, faut-il s'en émouvoir ? D'abord, il n'est pas exclu que les deux influences se soient ici combinées : le cerf était hautement symbolique au Moyen Âge et il lui est arrivé, à lui aussi, d'être représenté avec des ailes, tel Pégase. Surtout, peut-on rêver plus belle image pour notre étymologie, science humaine, trop humaine, que ce cerf-volant flottant plus souvent qu'à son tour... au gré du vent ?