Un brin d'étymologie...
sur un « brin » d'anthologie !

< dimanche 2 mars 2008 >
Chronique

Quoi qu'il arrive désormais, et de quelque ampleur que soient les records de fréquentation battus par sa comédie à la gloire des gens du Nord, Dany Boon pourra toujours s'enorgueillir d'avoir... fichu un sacré « brin » dans les rues et les parcs de stationnement qui desservent les salles obscures de l'Hexagone !

Si nous recourons ci-dessus aux guillemets, ce n'est pas seulement parce que nous nous exprimons d'ordinaire de façon plus orthodoxe. C'est aussi et surtout parce que le mot qu'ils encadrent, dans cette acception-là du moins, n'est reconnu par aucun dictionnaire de notre français académique. Normal, concéderont les plus avisés, le bougre est picard et il n'est le bienvenu que chez les chtis ! Mais voilà précisément qui ne devrait pas rebuter les lexicographes d'aujourd'hui, de plus en plus enclins au contraire à ouvrir leurs colonnes aux régionalismes et aux particularismes linguistiques : il faut bien vivre et, plus encore, bien vendre ! C'est ainsi que depuis belle lurette Larousse et Robert se sont mouillés pour notre drache. Qu'ils font fête à notre ducasse. Que la bistouille est devenue leur tasse de thé. Jusqu'à nos chicons qui, visiblement, les ravigotent ! Alors, pourquoi pas ce brin-là ? Sentirait-il le pâté... ou autre chose ? L'incorporer à nos lexiques relèverait-il du crime, imprescriptible en France, de lèse-Cambronne ? Ou peut-être craint-on que ce nouveau venu n'ajoute au désarroi orthographique de l'usager, il est vrai prompt à confondre brin et brun, comme l'illustra naguère cet article de notre confrère l'Équipe qui voyait dans l'inénarrable Fabien Barthez — divin chauve, pourtant, devant l'Éternel — un... « brun de folie » ?

La raison de cette disgrâce est sans doute plus prosaïque. Si l'indésirable pointe toujours chez les SDF (sans dictionnaire fixe) de notre langage ; si, hébergé par le Dictionnaire du français régional du Nord-Pas-de-Calais — au reste excellent — de Fernand Carton et Denise Poulet (éd. Bonneton), il n'a pu jusqu'ici accéder à ces saints des saints que constituent le Petit Larousse et le Petit Robert, c'est tout bonnement qu'il a... son équivalent en français !

Reconnaissons au demeurant que la ressemblance n'a rien de frappant : c'est sous la forme bran que cet alter ego se voit d'abord recenser, par exemple chez Robert. Et il faut un œil exercé pour passer outre à la définition première, laquelle ne fait état que de la « partie la plus grossière du son ». C'est pourtant bien ce bran-là, qui, dans le français médiéval, et pour plusieurs siècles, a pris le sens figuré d'« ordure », d'« excrément ». En témoigne encore ce mouvement d'impatience relevé dans la correspondance du délicat Flaubert : « Du bran pour la psychologie !  » Comment, nous direz-vous, ce bran s'est-il mué en brin ? Très probablement par l'entremise de la variante bren, citée elle aussi par Robert, et qui se prononçait, dans le Berry notamment, comme notre brin chti. C'est, à n'en pas douter, de cette graphie en -en qu'auraient usé les prétendants aux Dicos d'or s'il avait pris la fantaisie à Pivot de les plonger un peu plus dans le caca ! Espérons que le lecteur nous pardonnera, lui, cette incursion dans un domaine scatologique qui ne nous est rien moins que coutumier : seule nous aura guidé l'envie de porter bonheur à l'enfant d'Armentières... Mais au train où vont les entrées, en a-t-il encore besoin ?