Se faire enguirlander à Noël
n'est plus l'apanage du sapin...

< dimanche 23 décembre 2007 >
Chronique

Notre langue est celle de tous les paradoxes : quand ce serait sa raison d'être, à cette époque de l'année, le sapin est l'un des rares aujourd'hui à ne plus se faire... enguirlander ! Convoquée à l'Élysée par un président qui l'attendait avec les boules, Rama Yade, elle, n'y a pas coupé ; Bernard Kouchner pas davantage, lequel s'est fait allumer, de façon fort peu diplomatique, par son homologue libyen ; et que dire de Christine Boutin, prise à partie par Augustin Legrand avant que son directeur de cabinet ne soit invité à coucher dehors avec un billet de logement HLM ? D'ici qu'elle se retire sous sa tente, il n'y a pas loin... L'enguirlandage est quasi quotidien, mais il ne touche plus notre épicéa des fins d'année, que l'on se borne désormais à décorer. C'est que le sens figuré d'enguirlander a, depuis longtemps, éclipsé le propre. Comme il a éclipsé, ce que l'on sait moins, une première extension de sens qui disait exactement... le contraire de celle-ci ! Au début du XIXe siècle, le verbe signifiait « encenser, couvrir d'éloges » et Maupassant pouvait encore écrire d'une de ses héroïnes qu'« avec des mots câlins, elle l'enguirlanda de nouveau, sachant bien (...) que rien n'a plus de puissance sur un artiste que la flatterie tendre et continue ». C'est égal, cette extension-là était autrement naturelle que l'actuelle ! Comment a-t-on pu en venir au sens, diamétralement opposé, de « réprimander » ? Il n'est pas impossible que l'antiphrase y soit pour quelque chose : ce ne serait pas la première fois que l'on exprimerait ironiquement une idée par son contraire... Ne s'écrie-t-on pas « C'est du joli ! » pour signifier au dernier-né qu'il avait mieux à faire que de débaucher bœuf, âne et moutons de la crèche pour ressusciter la ferme de Dechavanne ? Il est malgré tout plus probable qu'enguirlander ait subi l'attraction du verbe engueuler, n'y eût-il entre l'un et l'autre aucune accointance sémantique. Le bleu n'a-t-il pas par le passé, sans autre raison apparente qu'une rime bien pauvre, remplacé Dieu chaque fois qu'il s'agissait, palsambleu, d'atténuer un juron ? Ne nous arrive-t-il pas de substituer au plus connu des mots de cinq lettres un « mercredi ! » qui n'a, pour tout rapport avec l'enfant de Cambronne, que sa première syllabe ? On est décidément peu de chose au royaume des mots, où l'opprobre dépend d'une vague ressemblance. Mais notre société ne lui a-t-elle pas, sur ce point, montré imprudemment le chemin ?