En pleine affaire EADS,
qu'en est-il du délit... d'initier ?

< dimanche 14 octobre 2007 >
Chronique

À quelque chose scandale est parfois utile : au-delà de la tempête politique qu'ils ne manquent pas de déchaîner, l'affaire EADS et le (présumé) délit d'initié qui s'y rapporte auront eu du moins le mérite de rappeler à l'usager du français que, dans notre langue, ledit initié... est en principe une personne ! C'est ainsi qu'au gré de l'actualité l'on pourrait s'estimer fondé à initier Fadela Amara au langage diplomatique, les militants de l'UMP aux vertus de l'ouverture, ou encore le visiteur d'un musée au nécessaire respect que l'on doit aux œuvres d'art. Dans tous les cas, il s'agit d'initier quelqu'un à quelque chose, autrement dit de révéler à un profane les rudiments d'un savoir ou d'une technique que, jusque-là, il ne possédait pas. Voilà pourtant nombre d'années — on se serait risqué à parier sur une vingtaine si le grand Chateaubriand, dès le XIXe siècle, n'avait curieusement joué les précurseurs — que le verbe initier se trouve de facto détourné de cette voie première. Dans la France moderne, on n'initie plus guère, en effet, que des projets, des processus ou des politiques. Les indécrottables optimistes voudront voir dans cette nouvelle acception un retour aux sources, voire un hommage discret à notre langue mère, le latin : le verbe initiare y signifiait déjà (entre autres sens) « commencer ». Mais ce sursaut d'humanisme paraît suffisamment rare en soi pour que l'on soit tenté d'y voir bien plutôt l'influence, plus récente et intellectuellement moins avouable, de l'anglais to initiate ! Toujours est-il qu'il est peu de conversations branchées qui se passent de l'intéressé. Les dictionnaires eux-mêmes n'ont pas fait de résistance excessive, entérinant cette extension de sens, fût-ce du bout des lèvres. Larousse la dit « critiquée », Robert en parle comme d'un anglicisme. Dans une touchante unanimité, les ouvrages censés nous aider à triompher des difficultés de la langue nous conseillent de lui préférer amorcer, entamer, entreprendre. Mais sans y croire outre mesure. Reconnaissons que la tournure incriminée n'est pas laide, qu'elle a pour elle ce petit côté précieux et distingué dont raffolent ceux qui ont tôt fait d'assimiler le simple au trivial, et que certains des ersatz proposés ne brillent pas par leur concision. Être à l'origine d'un programme, prendre l'initiative d'une réforme, voilà qui est bien lourd pour l'homme pressé d'aujourd'hui, qui n'a plus honte de candidater là où, naguère, il faisait encore acte de candidature !