Râlons, enfants
de la patri-i-e !...

< dimanche 27 mai 2007 >
Chronique

À vrai dire, on s'en doutait un peu. Au pays du camembert et du reblochon, ne peut être que grande la propension à faire de tout un fromage ! Mais la chose est désormais officielle : le prix des plus grands « râleurs » du monde vient d'être décerné — par un cabinet britannique, perfidie d'Albion oblige — aux travailleurs français. Ils seraient, à en croire une récente étude menée dans vingt-trois pays, les plus mécontents de leurs conditions de travail... Passons sur l'outrage — on en a pris l'habitude ! — pour nous interroger sur la seule histoire du mot. On s'imagine généralement que c'est à la faveur d'une extension figurée de sens que le verbe râler est devenu l'alter ego de rouspéter. N'a-t-il pas signifié dès le seizième siècle « faire un bruit rauque provoqué par l'embarras des bronches » ? N'a-t-il pas depuis toujours servi, sous une orthographe éventuellement voisine (raller), à décrire le bruit de gorge qu'émet le cerf, plus particulièrement en période de rut ? N'est-il pas, de surcroît, le doublet français du méridional racler, lequel suggère au fond la même idée ? L'hypothèse semble d'autant plus plausible que quand on rouspète, il est assez rare qu'on le fasse d'une voix cristalline... Ce serait pourtant oublier qu'à l'origine, et quand ce sens aurait complètement disparu malgré une illusoire seconde jeunesse dans le langage populaire du dix-neuvième siècle, le verbe a voulu dire « faire des façons, marchander âprement » ! Le « bradeux » d'aujourd'hui serait ainsi fondé, pour peu naturellement qu'il eût quelques notions d'étymologie, à traiter le chineur qui conteste ses prix de « râleur » ! Au bout du compte, il est beaucoup moins aisé qu'on ne le pensait d'établir si c'est la rouspétance qui est la conséquence de la raucité... ou l'inverse. Autre découverte inattendue : notre râleur serait un parent éloigné d'une certaine « racaille » qui défraya la chronique il y a peu ! Celle-là aussi, dans la mesure où elle évoque l'idée d'un rebut qu'il convient de séparer du reste — à l'image de l'ancien verbe angevin râcher, « dréger le lin » —, aurait quelque chose à voir avec le verbe racler, déjà cité. Une chose est sûre en tout cas : si par extraordinaire il fallait que ladite racaille, en France, inclût les râleurs, ce n'est plus un banal Kärcher qu'il faudrait bientôt au président de la République... mais, pour le moins, un bazooka !