Indigène, autochtone, aborigène

Des appellations d'origine...
mal contrôlées !

< dimanche 1er octobre 2006 >
Chronique

Il est des mots qui ne demandaient qu'à bien faire et qui ont mal tourné. Indigène, sur lequel sont braqués cette semaine les feux de l'actualité cinématographique, est sans conteste de ceux-là. L'étymologie ne le vouait à rien d'autre, à l'origine, qu'à la désignation de « celui qui était né sur place ». Et puis sont venus les temps de la colonisation... Le mot s'est alors teinté d'une nuance péjorative, voire insultante, son emploi, dans ce contexte, étant généralement « lié à une classification ethnique, parfois raciale ». C'est du moins ce que remarque, dans son Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey, payé pour savoir que l'on ne badine pas, sur ce terrain miné, avec le politiquement correct ! (1). Le phénomène est d'ailleurs loin d'être isolé et les exemples d'une corruption de l'étymologie par l'histoire sont légion. Faut-il par exemple rappeler que le mot nègre ne recelait initialement rien de plus que ses ersatz actuels noir et black, et que c'est la traite qui lui a valu sa connotation offensante ? La preuve en est que les Africains n'hésitent plus à se l'approprier, comme en témoigne la « négritude » chère à Léopold Sédar Senghor. Mais pour en revenir à notre indigène, qui n'a plus guère conservé son sens originel qu'à des fins didactiques (les botanistes continuant à parler de « plantes indigènes »), il a bien fallu se tourner vers des succédanés plus présentables. C'est ainsi que l'on a redécouvert autochtone, qui doit sans doute à ses racines grecques de s'être vu, pour un temps, décerner un brevet d'humanisme. Ledit mot porte en revanche comme un boulet son orthographe alambiquée, qui effraie tout ce qui n'est pas inscrit à la dictée de Pivot ! On a bien songé aussi à faire reprendre du service au naturel d'autrefois, mais force est de reconnaître qu'il n'est pas revenu au galop : trop proche de l'état de nature justement, ce qui n'est pas plus valorisant aux yeux des civilisés que nous nous flattons d'être ! Restait l'aborigène qui, pour rimer avec indigène, n'en procède pas moins d'une étymologie différente : il est celui qui est là ab origine, c'est-à-dire « depuis le commencement ». Las ! outre qu'il s'est rapidement spécialisé dans la dénomination des populations d'Australie et de Nouvelle-Zélande, sa déformation inopportune en « arborigène » (!) en fait trop souvent un primitif qui vivrait dans les arbres... À vous décourager, décidément, de vous casser le tronc !

(1) Le Petit Robert qu'il dirige a été récemment accusé par le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples) et le CRAN (Conseil représentatif des associations noires) de faire l'apologie du temps des colonies !