Vingt ans après...

Lettre ouverte à Bernard Pivot

< mardi 29 novembre 2005 >
Chronique

Pourquoi en ferions-nous mystère ? Il ne nous aurait pas déplu d'être le dernier après avoir été le premier. Mais nous nous sommes toujours méfié des paroles d'évangile et nous avions depuis longtemps laissé entendre que la passe de trois... en trois participations, compte tenu de la consécration onusienne de 1992, aurait quelque chose de presque indécent, eu égard à la qualité de la concurrence et à la part de chance que l'on sait présider à toute compétition. Pourtant, il s'en est fallu de bien peu. D'un cinquième tir au but, pour aller chasser la métaphore sur un terrain qui vous est cher. D'un bête possessif que nous n'avons pas voulu reconnaître pour tel (voir notre complément). Au demeurant, à quelque chose malheur est bon : cela nous aura mis à l'abri d'une joie par trop... démonstrative ! Il nous suffisait de prouver — de nous prouver, surtout — que, vingt ans après, nous étions toujours capable de signer un sans-faute et de pousser dans ses ultimes retranchements le champion sortant. Quel Merckx, quel Hinault ne se satisferait aujourd'hui de franchir l'Alpe-d'Huez dans la roue d'Armstrong ? Et puis vous savez bien, Bernard, que l'essentiel n'a jamais été là. Il s'est toujours situé, dans votre esprit, de l'autre côté de l'écran. Là où, à l'heure fixée par vous, des dizaines, des centaines de milliers de dos se penchent avec humilité sur des copies de fortune qui resteront à jamais anonymes, comme en un temps que chacun savait vieux mais que vous avez fait découvrir bon. Ceux-là auront failli cinq, vingt ou quarante fois et ils ne se feront pas faute de le clamer, dès le lendemain, à qui veut les entendre. Peu vous chaut, d'ailleurs : ce sont là vos vrais champions. Et là réside votre principal mérite, comme celui de Line Sommant qui, il y a un peu plus de vingt ans, vous a soufflé l'idée des championnats. Vous n'aurez pas réussi, restons modestes, à endiguer la dégringolade de l'écrit dans notre pays ; vous ne serez pas davantage parvenu à convaincre nos docteurs des Sciences de l'Éducation que la dictée n'avait pas que des défauts. En revanche, vous n'aurez pas peu contribué à rappeler que notre langue, avec ses lacunes, ses imperfections, ses bizarreries — à cause d'elles, peut-être ? — restait quelque chose de formidablement festif. Et pour cela, nous ne saurons jamais assez griffonner, sur nos cahiers d'écoliers à jamais orphelins désormais, ce mot, l'un des plus beaux parce que des plus simples de notre langue : merci !