Le gazole a éclipsé le gas-oil

Le français à l'aise dans ses pompes !

< mardi 23 septembre 2003 >
Chronique

Qu'on se le dise : la France n'a toujours pas de pétrole, mais elle a désormais des mots bien de chez elle pour en parler. En témoigne ce « gazole » dont les actions grimpent au moins aussi vite que le prix promet de le faire prochainement : n'est-ce pas là en effet la graphie qu'ont adoptée, ces jours derniers, la quasi-totalité des gazettes, abandonnant sans remords au fond des cuves ce bon vieux gas-oil qu'une prononciation hexagonale (gazwal) avait pourtant contribué à recycler ? Reconnaissons-le sans raffiner : la performance n'est pas mince pour un terme inventé de toutes pièces il y a tout juste trente ans. Elle n'a d'égal que celle du « fioul », en passe lui aussi de domestiquer son rival anglo-saxon fuel alors même que sa naissance, en 1983, avait provoqué plus de sourires narquois que d'espoirs vrais... C'est à se demander — n'en déplaise à Sartre — si l'existence du français ne dépend pas tout de même, un tant soit peu, de l'essence ! Il ne fait aucun doute, en tout cas, que c'est en demeurant à côté de ses pompes que la francisation carbure le mieux. Nous n'irons pas jusqu'à prétendre que partout ailleurs elle se... viande mais le zèle avec lequel les Français continuent à accommoder à la sauce anglaise nos « bifteck » et « rosbif », formes pourtant vieilles de deux ou trois siècles, ne laisse pas d'inquiéter. Certes, il n'y eut pas que des naufrages : personne ne soupçonne plus la présence du packet-boat derrière notre paquebot. La redingote n'a pas vraiment ramassé une veste face au riding-coat d'outre-Manche. Le bouledogue a bel et bien mordu sur son homologue bulldog. Quant au boulingrin, c'était bien le moins, il a envoyé... bouler son concurrent bowling-green. Mais il s'agit là d'adaptations déjà anciennes, et force est de constater que les succès d'aujourd'hui sont moins patents : un accent par-ci (« traveller's chèque "), une substitution de suffixe par-là (« prompteur », « supporteur », « tour-opérateur »). Il n'empêche que notre « bogue » a toutes les peines du monde à déprogrammer son « alter ego » le bug ; que le container résiste toujours à un « conteneur » par trop... parachuté ; et qu'avec le « mél » on s'est apparemment trompé d'adresse. Et si tous ces infortunés demandaient au gazole et au fioul de leur refiler quelques tuyaux ?