Mignonne, allons voir si le nénufar... (2)
Pour Larousse, ce n'est que trop clair : les rectifications de 1990 sont nulles et non avenues ! Qu'il s'agisse du trait d'union, du pluriel des noms composés ou de la régularisation de certaines syllabes finales atypiques, rien n'a changé ou presque. Et s'il lui arrive, par extraordinaire, de proposer des variantes également prônées par le Conseil supérieur de la langue française (affèterie, asséner, évènement, réfréner, etc.), il faut voir là coïncidence plutôt qu'allégeance : ces tolérances sont en fait antérieures à la réforme et ne font que prendre en compte des recommandations déjà anciennes de l'Académie. Seule véritable concession aux « techno-linguistes » de Michel Rocard : l'homologation de l'accent grave au futur et au conditionnel des verbes qui se conjuguent sur le modèle de céder (cèderai, cèderions), là où, naguère, l'accent aigu était de rigueur. Mais le divorce entre la graphie et la prononciation était, sur ce point, tellement patent que l'on peut à bon droit se demander si la variante ne se serait pas imposée de toute façon... Larousse, à n'en pas douter, a joué la carte du conservatisme et de la prudence, quand il n'a pas, délibérément, fait machine arrière : depuis que les réformateurs ont confessé leur faible pour la forme ambigüe (avec tréma sur le u plutôt que sur le e), il a purement et simplement chassé cette dernière de ses colonnes !
Hachette met la pédale douce
Chez Hachette, on ne fait pas davantage dans la témérité. Il est loin le temps où la vénérable maison du boulevard Saint-Michel trouvait quelque(s) vertu(s) à la « nouvelle orthographe » ! Devant l'importance des remous on est, là aussi, rentré dans le rang : même parcimonie que Larousse quand il s'agit de souder les mots composés, même circonspection dès qu'il faut les accorder au pluriel. À peine plus d'audace dans le domaine des accents (tolérance de empiètement, fèverole et recéler)... La montagne, une fois de plus, a accouché d'une souris !
Robert : écoutez la différence !
Au royaume des aveugles, Robert joue les borgnes. Autrement réceptif aux sirènes de la nouveauté, il s'y rallie souvent mais sans logique apparente : si, en matière de soudure des noms composés, il accepte cinéclub, piquenique et tirebouchon, il se refuse à entériner croquemonsieur, millepatte et portemonnaie ; si, se rendant en cela aux arguments des réformateurs, il met la logique entre parenthèses et tolère chasse-neiges et gratte-ciels au pluriel, il reste traditionaliste au singulier, se gardant de conseiller ce sèche-cheveu qui ne conviendrait qu'au professeur Nimbus, ou encore ce porte-avion rachitique, lequel ne pourrait évoquer que notre valeureux mais vétuste Clemenceau ; s'il se singularise en ratifiant douçâtre et levreau là où, jusqu'à présent, douceâtre et levraut avaient seuls droit de cité, son prosélytisme ne va pas jusqu'à valider les trop célèbres corole, exéma, nénufar et ognon ; et quand, enfin, il plaide, au nom de la nécessaire cohérence entre mots d'une même famille, pour bonhommie, boursouffler, cahutte, charriot, combattif, imbécilité, interpeler, etc., c'est timidement, en fin de rubrique et non pas à titre d'entrée.
Pour mesurées que soient ces hardiesses, la différence de traitement n'en est pas moins significative et d'aucuns se hâteront sans doute d'en faire des gorges chaudes : la réforme n'avait-elle pas pour souci premier de mettre un terme à la cacophonie des dictionnaires ? Au dire de quelques autres, elle aurait bien plutôt contribué à mettre au jour d'inquiétantes lézardes dans le bloc francophone : nous verrons ce qu'il en est dans notre prochaine rubrique...