Le français comme on l'aime ?
Ce n'est plus de l'amour, c'est de la rage !
Si la scène n'a pas fait le même bruit que la couverture du Sun, elle n'est pas piquée des vers, elle non plus : on y entend le sénateur républicain de l'Iowa Jim Nussle vanter au Congrès, en présence d'un Donald Rumsfeld hilare, un site internet traduit en huit langues, y compris une « petite langue obscure et peu parlée, le français ». Bien sûr, on mettra cette boutade au compte du délire francophobe qui s'est récemment emparé des milieux gouvernementaux américains. Bien sûr, on en minimisera la portée, sous le prétexte, qui a déjà beaucoup servi, que tout ce qui est excessif est insignifiant. Mais on ne nous empêchera pas de penser, à l'inverse, que c'est lors des crises que les masques tombent. Pouvait-on rêver preuve plus flagrante, en effet, de la place qu'occupe la langue dans le dispositif impérialiste américain ? Il faudrait être né de la dernière bruine — ou, peut-être, se bander les yeux à la façon de certains linguistes — pour ne pas voir que l'anglais est devenu pour les États-Unis le plus sûr moyen d'imposer au monde ses façons de voir. Le moins coûteux, aussi. Point besoin de le dépêcher à grands frais dans le Golfe, encore moins de solliciter de qui que ce soit l'autorisation d'utiliser son territoire : il est partout implanté, partout on lui fait fête. Inutile, encore, de quémander l'aval d'un quelconque Conseil de sécurité : les instances du monde entier, et celles de l'Union européenne au premier chef, déroulent devant lui le tapis rouge... Et pendant ce temps-là, que fait-on ? On s'apprête à célébrer, du 17 au 23 mars, la semaine de la langue française et de la francophonie. Loin de nous l'intention de nous déjuger : voilà une opération qui fait honneur au ministère de la Culture et dont nous disons du bien depuis huit ans. Après tout, ne jouons-nous pas nous aussi, ici même et deux fois par mois, avec les mots ? On ne nous ôtera pourtant pas de l'idée qu'en l'état actuel des choses ce sont là des manières de colombe au pays des faucons. Ne sommes-nous pas en train, nouveaux Byzantins, de gloser sur le sexe des anges quand le danger campe à nos portes ? Le temps n'est-il pas plutôt venu pour les pouvoirs publics, s'ils ne veulent pas que leur soif d'indépendance et de multilatéralisme passe pour une vaine roucoulade, d'user, dans le domaine linguistique comme ailleurs, de leur droit de veto ?