Monnaie unique, orthographe en pièces ?

L'euro, c'est fou... à lier !

< mardi 12 février 2002 >
Chronique

Il faut le reconnaître avec sportivité : l'euro a pris possession de nos bourses sans provoquer les remous que d'aucuns redoutaient — ou secrètement espéraient ! Certes, et notre grand argentier Laurent Fabius ne s'en est pas caché, il s'écoulera des mois avant que les Français ne troquent leurs anciens repères contre de nouveaux, en particulier pour les grosses sommes. Force n'en est pas moins de constater, à l'approche de la date butoir du 17 février, que l'abandon du franc se heurte à la même indifférence qu'hier celui du France (Sardou, si tu nous lis...) et que demain, sans doute, celui du français (Duneton, si tu nous écoutes...). Cela dit, tant que le soleil ne se sera pas levé sur ce jour béni où le continent parlera enfin d'une seule voix — l'anglaise, of course —, on pardonnera à des rubriques comme celle-ci de s'interroger sur les retombées linguistiques du passage à la monnaie unique. La plupart avaient d'ailleurs été cernées de longue date. On s'était persuadé depuis longtemps que nos apprenants — voire leurs géniteurs, puisque c'est ainsi que les docteurs des sciences de l'éducation nomment aujourd'hui les élèves et leurs parents — hésiteraient d'autant plus à mettre un s à euro que les billets eux-mêmes, pour de louables raisons d'harmonisation il est vrai, s'en dispensent avec brio. On était tout aussi conscient que la coupe d'Europe de football userait de son prestige auprès des masses pour parer notre nouvelle devise d'une majuscule que même les « eurolâtres » rechigneraient à lui concéder. Ce que l'on n'avait pas soupçonné, en revanche, c'est que l'euro ferait apparaître au grand jour ce que le franc, dans son indulgence gauloise, s'était toujours ingénié à cacher jusqu'ici : nos à-peu-près orthographiques ! On pouvait hier ignorer que vingt et cent prennent un s quand ils sont multipliés : notre monnaie nationale ayant le bon goût de commencer par une consonne, des fautes telles que « quatre-vingt francs » ou « deux cent francs » passaient, dans les conversations, comme lettres à la poste. La liaison, désormais, nous trahit, comme elle confond celui qui, incongrûment, serait tenté de lier par un s cent euros. Bref, s'il est trop tôt pour évaluer les vertus économiques de la monnaie unique, on peut d'ores et déjà affirmer que, grammaticalement parlant, on a perdu... au change !