Au rayon des subtilités...

Deuxième et second :
cela fait-il encore deux ?

< mardi 3 avril 2001 >
Chronique

Sied-il de distinguer entre second et deuxième ? La question, à vrai dire, ne date pas d'hier : elle remonte au début du XIVe siècle, époque à laquelle celui-ci est venu renforcer celui-là, de deux cents ans son aîné. Intolérable redondance aux yeux des théoriciens de notre langue, qui n'ont eu de cesse, depuis lors, qu'ils n'inventent une raison d'être à ce bégaiement linguistique. Le fruit de leurs cogitations est connu : il serait de bon ton d'utiliser second quand l'énumération s'arrête à deux, deuxième quand elle peut se poursuivre au-delà. À l'aune de ce critère, la Seconde Guerre mondiale fait de celui qui l'évoque un incurable optimiste, alors que la Deuxième Guerre mondiale condamne ses « partisans » à vivre dans la hantise de la suivante ! Est-il besoin de préciser que l'usage a traîné les pieds ? On parle aussi bien de la seconde République, qui a connu jusqu'ici trois sœurs cadettes, que du second Empire, lequel est resté sans successeur. La classe de seconde des lycées n'en est pas moins, chacun le sait, précédée de quelques autres. Quant à nos chers troufions, les plus humbles sont qualifiés de deuxième classe alors qu'à notre connaissance il n'en existe pas de troisième ! Force est du reste d'avouer que les écrivains n'ont pas toujours été plus inspirés. Si c'est à bon droit qu'Aragon fait dire à un de ses personnages qu'il se « tamponne » du second bachot, Voltaire s'indigne à tort que sa Zaïre ait été huée dès le second acte. N'en avait-il pas écrit cinq ? De même, Barbey d'Aurevilly affiche son ignorance (ou son mépris) de la règle quand il déclare : « Le plus fort de tous nos amours n'est ni le premier ni le dernier, comme beaucoup le croient : c'est le second. » Stricto sensu, le second est aussi le dernier ! Jusqu'aux grammairiens et aux lexicographes qui négligent de se serrer les coudes : Littré trouvait ce distinguo « tout arbitraire », Grevisse y voyait un « raffinement » dont l'usage n'a jamais eu cure, pas plus que les académiciens d'ailleurs ! Leur dictionnaire ne fait-il pas de lundi le second jour de la semaine, de février le second mois de l'année ? Au demeurant, rien n'interdit de se montrer plus royaliste que le roi. Quand celle-ci se fonderait effectivement sur l'arbitraire, toute précision n'est-elle pas bonne à prendre, au sein d'une langue chaque jour plus sujette aux à-peu-près ?