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XVIII

Tout le monde à son poste !

Faut-il emporter son téléviseur en vacances ? Depuis que les progrès scientifiques et techniques l’ont rendue plausible, cette question n’a cessé de susciter, dans le petit monde des caravaniers, débats contradictoires et interrogations passionnées.

Beaucoup prétendront, des trémolos dans la voix, que ce serait un non-sens des plus flagrants ; le caravaning se devant d’être, à leurs yeux, un premier pas vers le retour à la nature, s’embarquer avec son petit écran équivaudrait à réintroduire le loup dans la bergerie. Mieux vaut profiter, affirment ces amoureux des choses simples, de cette privation forcée pour entreprendre une cure de désintoxication, toujours salutaire et d’autant plus supportable que les programmes télévisés, durant l’été, ne donnent que très rarement dans le culturel(1)...

D’autres se récrieront, alléguant qu’ils n’ont pas le loisir de s’installer devant leur récepteur pendant l’année, qu’ils ne connaissent pas le bonheur d’être fonctionnaires et de chausser les pantoufles dès 5 heures du soir (ici un couplet sur le laisser-aller du service public que nous nous garderons bien de développer), enfin que les émissions estivales, même d’un intérêt contestable, les aident à vaincre l’ennui et à tuer le temps déjà bien long des congés.

M. Duroc, vous l’avez deviné, appartient à cette dernière catégorie : les rebondissements du vaudeville, fussent-ils stéréotypés, ont pour lui plus d’attrait que les élucubrations par trop littéraires d’un Pirandello et, bien qu’il proclamât son aversion profonde pour les échanges de Guy Lux et de Simone Garnier, il ne manquerait les planches savonnées de Jeux sans frontières pour rien au monde. On comprendra aisément, dès lors, qu’il ait pris prétexte des honorables résultats scolaires de son fils pour lui faire don d’un téléviseur portable dernier cri. Belle bête, au demeurant, et qui fonctionne à la perfection dans leur salon.

À l’intérieur de la caravane, c’est une tout autre histoire et l’appareil en question, comme s’il revendiquait lui aussi son droit au farniente, fait preuve d’une bonne volonté beaucoup plus mesurée. Pour qu’il consente à sortir de sa léthargie, vous devrez en effet satisfaire à un certain nombre de conditions élémentaires :

1) Choisir un terrain de camping qui délivre l’électricité aux caravanes autrement que sur le papier(2) ou, le cas échéant, posséder une batterie solide pour vous éviter des lendemains qui déchantent.

2) Ne pas élire domicile à proximité d’une ligne à haute tension, d’une piste de motocross, derrière un bouquet d’arbres, dans une zone de montagnes, en Bretagne après un raid du FLB(3).

3) Avoir le courage de l’installer (l’engin et sa housse se trouvant, la plupart du temps, ensevelis parmi les seaux hygiéniques et les emballages de carton du coin toilettes).

4) À force d’expériences malheureuses, tenter de découvrir le terrain d’élection du téléviseur, c’est-à-dire l’endroit où il fonctionnera le moins mal (les essais effectués chez soi ne serviront de rien : l’appareil livrera ses images où bon lui semble, parfois au beau milieu de la pâture voisine).

5) Manier boutons et interrupteurs à bon escient et après mûre réflexion, encore que des capacités limitées dans le domaine technique ne comportent pas que des inconvénients : si, par bonheur, vous parvenez à brancher, dès le premier soir, votre téléviseur sur 220 alors qu’il s’était accommodé jusque-là — trajet oblige — du 12 volts de la batterie, vous serez délivré d’un grand poids pour la durée du séjour.

6) Disposer de nerfs d’acier et d’une patience à toute épreuve pendant l’opération délicate qui consiste à orienter les antennes télescopiques. Protéger les yeux et veiller, pendant la manœuvre, à ce que lesdites antennes ne captent rien d’autre que des ondes.

7) Trouver le bon canal. Un jeu d’enfant, avait assuré le revendeur. Les Duroc cherchent toujours.

8) Parvenir à immobiliser une image qui n’a que trop tendance à imiter le défilé de mode.

9) Jouir d’une bonne vue.

Si, par une faveur spéciale du destin, ces neuf conditions venaient à être remplies et que vous réussissiez à recevoir une chaîne sur les trois, n’ayez aucune crainte ! Ce serait pour replier immédiatement le tout sous la menace d’un orage(4) ou pour voir apparaître, sur un écran zébré de parasites (nous allions oublier la dixième recommandation : ne jamais s’installer à portée de rasoir électrique(5)), le visage contrit de la speakerine annonçant la grève d’une « certaine catégorie de personnel ».

La solution consisterait évidemment à faire l’acquisition d’une antenne extérieure, mais M. Duroc est catégorique : il ne s’encombrera pas d’une vingtaine de kilos supplémentaires.

Reste le retour à la nature... Mais ce n’est pas faute d’avoir essayé !

 

(1) Nous devons à la stricte objectivité de préciser que, sous ces excellentes raisons et ces formules très « intellectuelles de gauche », se cache plus d’une fois le refus inavoué d’engager une nouvelle dépense...

(2) Cf. chapitres III et XVII.

(3) Les terroristes de tous poils semblent avoir en effet, dans leurs attentats, un faible marqué pour les relais de télévision.

(4) Les antennes télescopiques se révélant des paratonnerres au moins aussi convaincants que les mâts d’auvent précédemment évoqués (cf. chapitre X).

(5) Certains campeurs se rasent le soir ; d’autres vous rasent toute la journée (cf. chapitre XV).

 
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