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XII

La glace est rompue...

« Le pénible fardeau de n’avoir rien à faire... »
Nicolas Boileau
« De temps en temps, il faut se reposer de ne rien faire. »
Jean Cocteau

Quelque chargé qu’ait pu apparaître l’emploi du temps détaillé lors du précédent chapitre, il n’en a pas moins laissé entrevoir une lacune importante au sein de l’organisation des loisirs : l’après-midi...

Que faire quand l’astre décline ? La matinée, on l’a vu, présente l’insigne avantage d’être beaucoup trop remplie pour pouvoir laisser la place à un quelconque désœuvrement. En revanche, la vaisselle essuyée (si vaisselle il y a, car bon nombre de campeurs, partisans du moindre effort, usent aujourd’hui de services de table en carton), la sieste réparatrice achevée, le caravanier moyen se retrouve placé dans la situation délicate que décrivait déjà, au XVIIe siècle, un certain Blaise Pascal : « J’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. »

Le rythme de vie qui est celui de notre civilisation moderne ne nous a pas davantage habitués à ce genre de temps mort et neuf estivants sur dix ne peuvent s’en accommoder. Il n’en va pas autrement de nos Duroc pour qui, dès lors que la corvée de cartes postales a cessé de mobiliser avant-bras et neurones, la question reste cruellement posée : « Que va-t-on bien pouvoir inventer pour passer l’après-midi ? »

Premier antidote contre l’oisiveté : le bricolage. Certes, ce passe-temps n’est pas spécifique des mois d’été, pas plus, du reste que du caravaning ; mais en ce dernier domaine plus que partout ailleurs, le système D peut se donner libre cours : comme le claironnait sur les ondes, il n’y a pas si longtemps, un animateur bien connu, « il y a sûrement quelque chose à faire !... »

 

- rééquilibrer une caravane qui s’affaisse peu à peu en donnant un tour de manivelle aux vérins ;

- retendre, de temps à autre, une toile d’auvent qui, rançon d’un assemblage défectueux, ne tarde pas à ressembler à une chiffe ;

- graisser la tête d’attelage (et en profiter pour faire la connaissance du teinturier de la ville voisine) ;

- conserver un peu de graisse pour le lanterneau qui ne s’ouvre plus qu’après moult hésitations ;

- réparer la charnière de la glacière qui sort de ses gonds au moins aussi souvent que vous ;

- remplacer les ampoules 12 volts que vous avez « grillées » en les branchant sur le 220 du camp(1) ;

- nettoyer l’avant de la caravane que sont venues décorer, durant le trajet, des myriades d’insectes(2) ;

- recoudre la jupette arrachée par mégarde lors du montage de l’auvent ;

- stabiliser, à grand renfort de cartons et de coups de pied, la table de camping, branlante à souhait ;

- repeindre le châssis, déjà sérieusement rouillé ;

- extirper, au prix de quelques acrobaties, le tuyau d’évacuation des eaux qui s’était malencontreusement coincé dans le plancher de la caravane et inondait consciencieusement ce dernier ;

- colmater les brèches éventuelles avec du mastic.

 

Dans le seul dessein d’être plus clair, nous vous proposons à présent le schéma d’un après-midi placé sous le signe du bricolage(3).

Lorsque M. Duroc rentre des courses, son épouse lui suggère de jeter un coup d’œil à la vitre latérale de la caravane qui, depuis quelques jours, ferme mal. M. Duroc, heureux de constater que l’on reconnaît enfin son savoir-faire (et non moins soulagé de s’apercevoir que la fenêtre incriminée est simplement oxydée), promet de s’en occuper l’après-midi même. La famille est au comble de la félicité.

14 heures. M. Duroc, qui — circonstances obligent — a écourté sa sieste, traîne une imposante caisse à outils aux abords de la vitre récalcitrante. Son diagnostic se confirme aisément : la fermeture n’est que « grippée ». Il suffira d’appuyer légèrement pour la décoincer, puis de lui administrer deux ou trois gouttes d’un produit dont il a le secret. Mme Duroc est aux anges. Enfin son mari se décide à jeter un regard autre que méprisant sur les petits problèmes de la vie de tous les jours ; lui qui, en se mariant, ne savait seulement pas planter un clou ! La paupière baignée d’une larme nostalgique, elle mesure précisément le chemin parcouru quand un bruit sec et cristallin parvient de l’arrière : la fenêtre est décoincée ! Le verre également. Il s’est répandu en milliards de particules Securit sur l’herbe. Le fils, prudent, s’éloigne...

16 h 30. Trois postérieurs pointés vers le ciel de Provence s’affairent sans mot dire. Depuis un peu plus de deux heures, les Duroc au grand complet(4) traquent le verre. Comme ils entassent avec application les débris dans une boîte en carton dont le fond est pour le moins douteux, nous vous laissons le soin d’imaginer le gag qui ne manquera pas de se produire lorsque M. Duroc prendra enfin la direction des poubelles.

17 h 15. Le gag vient d’avoir lieu. Jurons. Invectives. Horions.

17 h 30. M. Duroc abandonne ses semblables à leur triste sort pour aller téléphoner à la maison mère : il espère une livraison rapide de la vitre correspondante. Mais, bien évidemment, à la maison mère, c’est la fermeture pour congés annuels.

18 h 15. Le ciel provençal, d’un bleu obstiné depuis une semaine, se couvre à vue d’œil. Celui des relations familiales en fait autant.

18 h 30. On entreprend un calfeutrage de fortune à base de serpillières et de pinces à linge. Réparation qui ne convainc personne et ne pèsera vraisemblablement pas lourd devant le violent orage qui, naturellement, se prépare.

19 h 15. M. Duroc demande à la cantonade s’il n’y a pas d’autres menus travaux à effectuer. Mme Duroc répond que tout est en ordre.

 

(1) Un caravanier digne de ce nom doit toujours se munir de trois jeux d’ampoules : 12 volts (pour le branchement sur batterie pendant le voyage), 110 et 220. Nous lui conseillons également de s’armer d’une pile.

(2) L’étanchéité d’une caravane laissant souvent à désirer, l’utilisation du jet est fortement déconseillée dans ces circonstances précises ; à moins que vous n’ayez l’intention de profiter de l’occasion pour nettoyer en même temps l’intérieur...

(3) Cette fois encore, l’épisode qui va suivre est publié avec l’aimable autorisation des Duroc.

(4) Le fils a été providentiellement « récupéré » au moment où il annonçait sa participation au concours de pétanque organisé par le camp voisin.

 
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