LE FIN MOT
Les conseilleurs ne sont pas les payeurs
Timbrés de l'orthographe n° 10
avril 2015
Longtemps, je me suis couché. Sinon de bonne heure, comme le divin Proust, du moins devant les injonctions de nos puristes. Après tout, ne constituent-elles pas, pour une large part, mon fonds de commerce ? Je n'ai garde, de ce fait, d'employer alternative pour solution de rechange, opportunité pour occasion, conséquent pour important, exaction pour acte de violence, gâchette pour détente, initier pour mettre en route, etc. Et je dois ici reconnaître que je ne m'en porte pas plus mal.
Pour prestation, cependant, il me faut avouer que je tique un tantinet. Certes, je n'entends que trop Girodet : « À éviter dans la langue soignée au sens de performance. » Et je lui accorde que, quand il est question d'un sportif, d'un athlète, je n'ai aucun scrupule à lui préférer ce dernier mot. Mais quand on parle d'un orateur, d'un artiste, bref, de quelqu'un qui se produit sur une scène ou un plateau plutôt que dans un stade, et sans nécessairement tutoyer les sommets ? Je confesse que la chose m'est plus difficile, à moins, bien sûr, qu'il ne s'agisse d'un Johnny Hallyday qui, pour rappeler que la « rock'n'roll attitude » est faite de transpiration autant que d'inspiration, joue du pied de micro comme d'un javelot ! Et puis, ne serait-ce pas là encourager la propension de plus d'un chanteur d'aujourd'hui à user de l'horrible verbe performer ?
Je sais par expérience qu'il n'y a aucun secours à attendre (du moins pour l'instant) de nos dictionnaires usuels, lesquels s'en tiennent à la définition première de prestation : « action de fournir qqch, notamm. d'exécuter un travail pour s'acquitter d'une obligation légale ou contractuelle », voire « objet, travail, service fourni » (Larousse). Au-delà, on est prié de circuler, il n'y a rien d'autre à voir que « emploi critiqué ».
Oui, mais alors... que doit-on dire quand on évoque le « fait, pour un artiste, un orateur (je laisse tomber le sportif, son cas a été réglé plus haut), de se produire en public » ? Parce que ça, c'est une définition, et non un mot ! Pour faire entendre que la dernière prestation d'Untel (j'emploie à dessein le vocable maudit) m'a laissé pantois, à quoi recours-je ? À production ? Ça sent un peu trop la prod' de la défunte Star Ac' dans la bouche d'Alexia Laroche-Joubert... À exhibition, comme le suggère le moderne Trésor de la langue française, qui n'en fait pas moins dans l'excommunication ? Un peu m'as-tu-vu, non ? À exploit, réussite, succès, action, discours, allocution ? Y en a-t-il un qui vous tente, là-dedans ? C'est pourtant la liste de substituts possibles que nous offre Girodet. On voit bien que ce n'est pas lui qui a à les utiliser dans le contexte susdit !
Je sens que, si ça continue, je vais trouver du charme à Hanse, qui me propose, à l'instar du Philinte de Molière, une « vertu traitable » : « On ne doit pas, écrit-il, rejeter le sens de "ce qu'on offre au public", dans les domaines du sport et du spectacle et même de la politique : La médiocre prestation d'un athlète, d'un artiste, d'un orateur. » J'allais le dire.
Et le faire, désormais, puisque je constate que, dans la neuvième édition de son Dictionnaire, l'Académie elle-même, qui l'ignorait jusqu'ici, ne trouve plus rien à redire à cette extension de sens. Il était temps, j'ai failli me taire, ne sachant plus comment « tourner autrement » !
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