LE FIN MOT
Vous avez dit logique ?
Timbrés de l'orthographe n° 9
janvier 2015
Cette fois, nous y sommes : nos réformateurs se sont attelés au gros œuvre. Vingt-cinq ans qu'ils attendaient ça ! Voici enfin venu le temps de révéler que leurs « Rectifications de 1990 », alors vendues au bon peuple de France comme raisonnables et limitées, n'étaient en réalité qu'un ballon d'essai, une manœuvre de diversion avant l'assaut décisif, cette mère de toutes les batailles que constitue depuis toujours à leurs yeux l'accord du participe passé.
À les entendre, ces linguistes responsables ne pouvaient décemment rester insensibles à la misère de l'usager : il fallait lui venir en aide, lui offrir un « espace de liberté ». Le déculpabiliser quand il trébuche, en le convainquant que ce que d'aucuns appellent faute n'est en réalité qu'une « logique nouvelle qui vient opportunément se substituer à une autre plus ancienne », en tant que telle promise au rebut. À notre humble avis, c'est là faire beaucoup d'honneur à un contrevenant que guident, plus sûrement que la logique, l'ignorance et surtout la paresse, mais passons : ce genre de remise en cause n'est plus en odeur de sainteté dans un monde où tout est toujours la faute de l'autre, de la règle d'abord, de celui qui est chargé de vous l'apprendre ensuite.
Car le postulat est tel : si cette règle est bafouée, ce n'est pas seulement qu'elle est subtile (reconnaissons que cela lui arrive), c'est surtout qu'elle est illogique. À cette aune, et pour peu qu'on laisse traîner un regard autre que distrait sur une copie de bachelier, une page de journal ou un forum de la Toile, c'est notre langue entière qui manque de logique : car on ne se borne pas, il s'en faut, à y martyriser le participe, on le confond encore avec l'infinitif, de même que l'on ne reconnaît plus l'indicatif du subjonctif, le possessif du démonstratif, la conjonction du pronom... Faudra-t-il bientôt renoncer à distinguer le passé du futur, le réel de l'hypothétique, sous prétexte que l'élève ne fait plus la différence — pour ne s'y être jamais sérieusement arrêté — entre imparfait, futur simple et conditionnel ?
On sait ce qu'on perd, moins ce qu'on trouve. Que penser d'une logique qui, prônant dans tous les cas l'accord avec l'auxiliaire être, l'invariabilité avec avoir, nous obligerait à écrire « elles leur ont dit », mais « elles se sont dites », quand à l'évidence leur et se auraient la même fonction dans la phrase ? ne nous permettrait plus d'établir, dans un tour comme « ils se sont vus distribuer des vivres », si l'on a affaire à des SDF ou à des bénévoles des Restos du cœur ?
Que nos réformateurs aient au moins l'honnêteté de reconnaître qu'ils entendent simplifier la langue, non la rendre plus logique ! Qu'ils veuillent noyer le chien, soit ! mais qu'ils ne viennent pas nous dire qu'il avait la rage... S'ils ont pu faire illusion naguère, sur le terrain propice des familles de mots irrégulières et des noms composés, le masque tombe aujourd'hui. Il y aurait des zones d'ombre dans la règle d'hier ? Personne n'en disconvient : une langue n'a rien d'une science exacte. Est-ce une raison pour nous plonger dans une obscurité plus grande, en attentant, au nom de présupposés pour le moins contestables, à la logique de la phrase et en permettant que deux idées diamétralement opposées s'écrivent et s'énoncent de la même façon ?
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