LE FIN MOT

L'euphémisme,
on ne lui dit pas (toujours) merci !

Timbrés de l'orthographe n° 5
octobre 2013

Chacun ne le sait que trop : au sein de notre civilisation livrée pieds et poings liés à la dictature du politiquement correct, l'euphémisme est comme un poisson dans l'eau. N'est-il pas, aux yeux de l'étymologie, l'incarnation même de la « bonne parole » ?

Pour autant, n'oublions jamais que ce qui se conçoit le mieux restera pour longtemps ce qui s'énonce clairement. Que, faute d'appeler — comme nous y invitait Jean-Loup Chiflet dans un ouvrage à la fois désopilant et inquiétant — « un chat un chat » (et non un « animal de compagnie digitigrade »)*, nous nous exposons à noyer ledit poisson sans même l'avoir cherché.

L'autre matin, j'apprends par un titre de brève que « le FC Bruges remercie son entraîneur ». Mon indécrottable naïveté, je vous rassure, n'est jamais allée jusqu'à me persuader que le petit monde du football était celui des Bisounours. Allez savoir pourquoi, cependant : l'ami Ricoré n'étant pas encore passé, ce sont d'abord des images de liesse qui m'ont traversé l'esprit. Un stade vibrant de reconnaissance, acclamant, à l'occasion de son dernier match à domicile, celui qui, durant de longues années, présida aux destinées du club. Des supporteurs émus aux larmes, criant, tous calicots dehors, leur admiration sans bornes. Un président dans le rond central, faisant revivre à ses ouailles, par le menu et par sono interposée, les bons et loyaux services du héros du jour.

C'est vous dire si j'avais... raté le coach, quand ceux qui précèdent ne l'avaient pas manqué ! Comme cela ne se produit que trop régulièrement dans cet univers impitoya-â-ble qui n'a pas grand-chose à envier à celui de Dallas, le héros présumé (il m'aura suffi, pour m'en rendre compte, de parcourir les premiers mots de l'articulet qui suivait) était bien plutôt le paria que l'on avait renvoyé. Chassé. Congédié. Licencié. Limogé. Révoqué. Mis à pied. Démis de ses fonctions. Éjecté. Viré. Balancé. Largué. Saqué. J'en passe et des moins académiques : c'est que notre langue ne manque guère d'imagination dès lors qu'il s'agit de faire porter le chapeau de quelques malheureuses défaites consécutives à autrui !

Au journaliste qui a choisi de retenir, de préférence à tous ceux-là, le verbe remercier, il ne saurait être question, il va sans dire, d'adresser le moindre reproche : il n'a fait en l'occurrence qu'user d'une acception dûment reconnue et répertoriée du verbe remercier, laquelle a pignon sur rue depuis, tenez-vous bien, le dix-septième siècle ! Nul doute que Maître Capello ne l'eût trouvée « de bon aloi », saluant même l'initiative, je le revois d'ici, d'une piécette sonnante et trébuchante dans les entrailles de son nourrain...

Je le... remercierais plutôt, ce journaliste, de nous avoir rappelé, et peut-être bien volontairement, que, l'euphémisme étant affaire de contexte, il vaut souvent mieux n'y sacrifier que quand toute équivoque est impossible. C'est rarement, hélas, le cas d'un titre, dans lequel, paresse du siècle oblige, le lecteur d'aujourd'hui voit de plus en plus un plat de résistance, et de moins en moins un hors-d'œuvre ! Mais cela est une autre histoire...

 

* Et si on appelait un chat un chat ?, par Jean-Loup Chiflet (éd. Mots et Cie)

 

Retrouvez cet article dans sa présentation originale.